Musique indé, métal, électro: pendant trois week-ends consécutifs, evenko convie les amateurs de diverses tendances musicales au parc Jean-Drapeau de l'île Sainte-Hélène. Le festival Osheaga, qui, à sa 10e année, jouit d'une réputation enviable à l'échelle internationale, lancera les festivités vendredi.

À sa 10e année d'existence, Osheaga a surpassé de beaucoup les attentes de départ de ses organisateurs. Après des premières années difficiles, l'éclectique festival montréalais de musique dite indépendante a pris son envol et il devrait afficher complet le week-end prochain, comme il le fait depuis 2012.

Mais outre son succès à la billetterie, qui fait souhaiter au producteur evenko que la capacité d'accueil du Parterre de l'île Sainte-Hélène passe de 45 000 à 60 000 spectateurs en 2017, c'est la renommée internationale d'Osheaga qui le réjouit particulièrement.

«Qu'en seulement 10 ans, on soit reconnu comme un festival international de cette ampleur-là, c'est remarquable, lance Jacques Aubé, vice-président exécutif et chef de l'exploitation d'evenko. Et ce n'est pas la fin, c'est une évolution constante.»

En 2006, Aubé voulait motiver ses troupes en leur lançant le défi de créer un festival d'envergure internationale. Ce faisant, il voulait également qu'evenko, alors connu comme le Groupe Spectacles Gillett, rajeunisse sa clientèle et son image, ce qu'il a réussi au-delà de ses espérances.

«Et ça ouvre des portes à l'international», ajoute Nick Farkas, programmateur en chef d'evenko, à qui les agents d'artistes prêtent une oreille beaucoup plus attentive parce qu'il est associé à Osheaga. «Ils seront peut-être plus portés à travailler avec evenko toute l'année parce qu'ils veulent que leurs artistes jouent à Osheaga, à Heavy Montréal ou à ÎleSoniq», ajoute-t-il.

Ces contacts sont d'une importance cruciale pour un festival comme Osheaga qui a déjà soumis des propositions à certains artistes en prévision de l'an prochain. «Ça a beaucoup changé depuis 2006...», constate Farkas.

Concurrence accrue

Au fil des ans, evenko a pris des décisions qui ont porté leurs fruits, dont celle de déménager Osheaga de la fête du Travail au début d'août. Mais la chance lui a également souri.

«Aujourd'hui, on a quelques longueurs d'avance, on est connus, dit Aubé. Mais lancer un festival indépendant dans le contexte économique actuel, ça ne serait pas facile. Même s'il existait déjà des festivals comme Coachella, c'était visionnaire de créer Osheaga en 2006.»

Rien que cette année, Osheaga a dû allonger environ 1 million de dollars supplémentaires - sur un budget de plus de 13 millions - en raison de la faiblesse du dollar canadien, révèle Nick Farkas: «Le taux de change nous fait très mal. En plus, en Amérique du Nord, la concurrence est forte; chaque ville a son festival. Comme Osheaga est un festival de destination qui attire donc des gens d'ailleurs, c'est de plus en plus difficile. Je vois de plus en plus, dans les contrats des artistes, des clauses d'exclusivité qui n'existaient pas auparavant.»

Cette concurrence accrue vient notamment de l'Ontario où le nouveau festival WayHome, associé au géant américain Bonnaroo, a lieu ce week-end à une centaine de kilomètres au nord de Toronto. Malgré tout, les ventes de laissez-passer d'Osheaga n'ont pas fléchi dans la province voisine. Environ 46% des festivaliers d'Osheaga proviendront encore cette année de l'Ontario, qui jouit d'un long week-end début août. Par ailleurs, les ventes d'Osheaga ont augmenté aux États-Unis - 13,8% comparativement à 8,65% l'an dernier - et les Québécois compteront encore pour environ le tiers des festivaliers dans l'île Sainte-Hélène.

L'affiche montréalaise n'a pas souffert non plus de l'arrivée du nouveau festival ontarien. «On se connaît bien, on s'est parlé pour ne pas avoir la même programmation», explique Farkas.

Les retombées annuelles d'Osheaga sur l'économie locale sont de 30 millions, estime Jacques Aubé à partir de calculs réalisés selon la méthode de Tourisme Montréal. Des chiffres qui, croit-il, devraient être confirmés bientôt par une étude de Secor-KPMG.

La force de l'affiche

Osheaga n'a pas voulu axer sa programmation de 2015 sur son 10e anniversaire. Il y aura des clins d'oeil historiques avant le dernier concert de la soirée et on reverra quelques-uns des artistes qui étaient du festival de 2006, dont Ben Harper, Patrick Watson, Thurston Moore (avec Sonic Youth, à l'époque) et Grace Potter. Le groupe montréalais Stars aura également des invités-surprises liés à l'histoire d'Osheaga, mais qui n'y jouent pas cette année.

«On voulait surtout avoir une affiche complète qui se compare à celle des autres festivals et qui incite un résidant de New York, de Toronto ou de Chicago à venir nous voir, explique Farkas. C'est la programmation dont je suis le plus satisfait du début à la fin. Dans le bas de l'affiche, on peut lire des noms comme Tove Lo, First Aid Kit et Philip Selway [batteur de Radiohead].» Le même Selway dont Farkas dit avec un grand sourire: «J'espère qu'il va s'amuser et qu'il va nous amener Radiohead l'an prochain.»

La force de l'affiche et sa profondeur sont au coeur de la philosophie festivalière d'evenko qui s'inspire en cela de la diversité des grands festivals européens. Pas question de devenir un festival de niche, il s'agit plutôt d'élargir la palette musicale sans dénaturer l'événement.

Ainsi, Heavy MTL est devenu Heavy Montréal l'an dernier pour ne pas être prisonnier d'un genre. «On a essayé de changer la direction un peu pour éviter de rester figé dans le métal, tout en conservant évidemment le métal, explique Nick Farkas. Cette année, on peut y voir Slipknot, mais aussi Marky Ramone, Extreme et Iggy Pop. En 10 ans, Osheaga a trouvé un bon équilibre. À Heavy, on travaille là-dessus.»

Cette année, Heavy Montréal passe de deux à trois jours en raison de l'abondance de l'offre musicale, mais il n'est pas dit qu'il ne reviendra pas à deux jours en 2016. L'an dernier, la présence de Metallica avait gonflé l'assistance à 70 000 festivaliers - près du double de l'année précédente -, mais, cette fois, on espère attirer de 45 000 à 50 000 amateurs de rock lourd.

Malgré son identité électronique, le petit nouveau ÎleSoniq élargit également sa palette. «On a mis du hip-hop et des bands, pas juste des DJ, explique Farkas. Les festivals d'EDM [electronic dance music] ont connu une baisse importante depuis un an, mais la musique électronique évolue et on ne veut pas être pris sans aucune possibilité de progression. On veut être là dans 10 ans.»

Montréal, rappelle-t-il, a toujours été très fort en musique électronique. À sa première année, ÎleSoniq a rassemblé 35 000 festivaliers sur deux jours par un temps exécrable alors que ses organisateurs en espéraient 20 000. Cette année, Nick Farkas en attend au moins 40 000.