Alors que le Conseil du statut de la femme a milité toute la journée, hier, pour qu'evenko annule le concert d'Action Bronson à Osheaga, les rappeurs et rappeuses québécois sont divisés par rapport à l'artiste d'origine new-yorkaise qui se produira au parc Jean-Drapeau.

Bronson a fait l'objet de maintes critiques ces derniers mois en raison de deux chansons, Consensual Rape et Brunch, dénoncées par certains pour leur caractère misogyne et leur violence extrême envers les femmes.

Hier, dans La Presse, le maire de Montréal, Denis Coderre, se questionnait ouvertement à savoir si la présence de l'artiste était souhaitable au parc Jean-Drapeau. Or, ces deux titres controversés ne reflètent pas l'oeuvre du rappeur, a affirmé le rappeur Koriass en entrevue, hier.

«Action Bronson, c'est un des rappeurs les plus en vue et les plus originaux qui existent en ce moment. Il faut faire la différence entre ce qu'il pense réellement et ce qu'il fait dans son art. Si on se met à bannir tout ce qui est d'apparence misogyne et violente, il ne restera plus grand-chose en musique et en cinéma», a-t-il affirmé hier.

Koriass se décrit comme «un proféministe». Plus tôt ce mois-ci, il a signé un texte intitulé Natural Born Féministe, publié sur le site internet du magazine Urbania. Le rappeur a aussi participé récemment à l'émission 125 Marie-Anne, à Télé-Québec, pour parler de son rapport au féminisme.

«Action Bronson s'est d'abord fait connaître grâce à son émission sur la nourriture, Fuck That's Delicious. Quand on sait qui il est, on comprend que c'est une personne qui a un grand sens de l'humour et de l'autodérision. Il est extravagant. Il ne faut pas écouter ses chansons au premier degré», a dit Koriass.

«En même temps, je comprends parfaitement que les femmes soient tannées de voir des vidéoclips comme Brunch, parce que ça encourage la violence envers les femmes. C'est une question très complexe», a-t-il nuancé.

Deux rappeuses, deux points de vue

Jenny Salgado, alias J. Kyll, fait carrière comme rappeuse depuis 1996. Elle est l'une des rares femmes à avoir percé le milieu très masculin du rap au Québec. «Ce serait facile de prendre position contre Action Bronson, mais je ne pense pas qu'il est nécessaire d'annuler son concert», a-t-elle dit d'emblée à La Presse.

Si elle n'aime pas particulièrement les chansons du rappeur new-yorkais, Salgado adhère entièrement à la position défendue par evenko: il ne faut pas censurer un artiste pour son oeuvre.

«Dans le hip-hop, les gens aiment provoquer, parce que c'est ainsi qu'ils réussissent à faire parler d'eux. Mais c'est aussi vrai pour d'autres styles musicaux. Les Beatles ont bien écrit la chanson Run For Your Life, où ils racontent l'histoire d'un homme qui dit à une fille qu'il la tuera si elle le trompe», a-t-elle rappelé.

Sarahmée Ouellet - la soeur du chanteur Karim Ouellet, qui jouera d'ailleurs sur la même scène que Bronson à Osheaga - est moins tendre envers le rappeur.

«Je comprends la controverse et je ne cautionne pas [les images de] violence gratuite envers les femmes ni envers personne en général. Faut-il toutefois condamner Osheaga? Je crois que c'est plutôt aux gens de boycotter le concert», a dit la jeune artiste, dont le premier album sortira en septembre.

En France, il y a quelques années, tous les grands festivals avaient banni le rappeur Orelsan en raison de sa chanson Sale pute, jugée très violente, a rappelé Sarahmée Ouellet en entrevue, hier.

«S'il y avait eu une pétition à Montréal comme ce fut le cas à Toronto [où 40 000 personnes avaient demandé aux organisateurs d'un festival de ne pas présenter Bronson dans un concert public gratuit], peut-être que Bronson aurait remis en question sa musique. Mais si les gens ne se lèvent pas, il ne se passera pas grand-chose», a-t-elle ajouté.

Nouvelle vague de rappeurs

Koriass tient pour sa part à rappeler que le rap n'est plus ce qu'il était autrefois, c'est-à-dire composé presque entièrement de chanteurs aux propos misogynes.

«Les principaux rappeurs en ce moment, que ce soit Kendrick Lamar ou J. Cole, ne tiennent pas ce genre de propos. On voit aussi de plus en plus de rappeurs qui sont pro-mariage gai ou proféministes. Ceux qui tiennent des discours extrêmes parodient souvent le rap de leur jeunesse», a-t-il indiqué.