Elvis Costello est le premier à s'étonner d'être la tête d'affiche, ce soir, du festival Osheaga où tous les groupes et, probablement, les spectateurs seront d'une autre génération que la sienne. Mais n'allez surtout pas croire que ça l'intimide: «C'est très bien. C'est le genre de public que je préfère!»

Flash-back numéro 1: Au Théâtre St-Denis, le 7 novembre 1978, Elvis Costello et les Attractions balancent leurs deux premiers albums en 55 minutes bien comptées, sans faire de pause. «Ça devait être une de nos soirées lentes», dit l'Elvis britannique en rigolant au téléphone.

Flash-back numéro 2: le 3 juillet 2006, à Wilfrid-Pelletier, un Elvis Costello survolté enchaîne rappel par-dessus rappel au terme d'un concert qui n'en finit plus avec Allen Toussaint au Festival de jazz. Et le public en redemande.

Aujourd'hui encore, chaque show d'Elvis Costello est différent. Pour s'en assurer, l'artiste qui aura 57 ans le 25 août se promène depuis quelques mois avec une grande roue semblable à celle d'un quiz télévisé sur laquelle sont inscrits des titres ou des thèmes de chansons. Un spectateur monte sur scène, fait tourner la roue et quand la flèche s'immobilise dans une case, Costello s'exécute, appuyé par ses fidèles Imposters - le batteur Pete Thomas, le claviériste Steve Nieve et le bassiste Davey Faragher. Ça peut tout aussi bien être l'une des innombrables chansons de son cru qu'un emprunt aux Beatles, aux Stones, à Dylan, à Van Morrison ou à Prince dans un spectacle qui peut durer jusqu'à trois heures.

Il n'y aura pas de grande roue sur la scène principale du festival Osheaga, dont Costello est la tête d'affiche ce soir. «On n'a pas le temps de l'assembler ni d'utiliser la roue dans un festival où on veut jouer le plus de musique possible dans le temps qui nous est imparti», explique Costello. N'empêche, le fait d'avoir répété plus d'une centaine de chansons donne à Costello et aux Imposters une très vaste marge de manoeuvre dont ils entendent bien tirer parti.

«Je ne sais pas vraiment à quoi m'attendre de ce festival, reconnaît Costello. J'ai vu quelques noms de groupes au programme, c'est très diversifié, mais ils sont tous d'une autre génération que la mienne. Ça doit vouloir dire que le public l'est également et qu'il pourrait bien ne pas connaître une seule de mes chansons. C'est très bien. C'est le genre de public que je préfère! Dans pareille situation, il n'y a qu'une chose à faire: jouer! Ça tombe bien, les Imposters n'ont jamais aussi bien joué et j'ai de bonnes chansons.»

Costello a touché à presque tous les genres de musique au cours de sa carrière très prolifique. C'est un artiste inclassable, un indépendant dans l'âme et dans la forme qui ne détonne pas tant que ça dans un festival comme Osheaga. Un peu comme, dans un autre registre, Iggy Pop qui était de l'affiche du Osheaga de 2008.

«Dites-nous simplement combien de temps on peut jouer et quand on doit arrêter, reprend Costello. Nous avons donné un super show à Ottawa il y a quelques semaines, mais il n'y avait à peu près personne parce que tout le monde pensait que le show serait annulé à cause de la pluie. Tout peut arriver dans un festival: les spectateurs peuvent être écrasés par la chaleur, il peut pleuvoir ou ça peut être une journée glorieuse. Mais d'être là avec toutes sortes de musiciens donne le sentiments d'appartenir à une communauté. Ce n'est pas notre lot quotidien, donc aussi bien en profiter.»

Faire ce qu'on aime

Costello était à Montréal tout récemment pour le premier des trois concerts solos de Diana Krall au Festival de jazz. Son Elvis de mari nous confirme d'ailleurs que la pianiste et chanteuse canadienne vient tout juste d'enregistrer des chansons d'une autre époque pour le prochain album de Paul McCartney.

«Comme les disques ne dictent plus vraiment le rythme de vie des artistes aujourd'hui, aussi bien choisir quelque chose qu'on veut vraiment enregistrer pour que les gens en fassent des écoutes répétées, renchérit Costello. Si je fais un autre disque, ce sera quelque chose de très nouveau que je viens de pondre, ou encore des chansons d'autres auteurs-compositeurs ou des choses que j'ai écrites dans le passé et qui m'interpellent suffisamment pour que j'aie le goût de les enregistrer, peu importe le média. Je n'ai aucune idée de ce que l'avenir nous réserve. Je pourrais aussi bien décider de les jouer uniquement en spectacle.»

Costello ne prévoit pas de suite à l'émission Spectacle qu'il a animée à la télé pendant deux saisons. «On a tâté le terrain pour une troisième saison mais les artistes que nous voulions n'étaient pas disponibles. On n'aurait pas pu atteindre, comme avant, un équilibre entre des gens hyper connus comme Bruce Springsteen et Bono et Edge qui ont sacrifié une journée de congé pour nous consacrer trois ou quatre heures, et d'autres, moins connus, que je suis tellement heureux d'avoir reçus comme Jesse Winchester et mon ami Ron Sexsmith.»

Spectacle était une émission remarquable à plus d'un titre. Non seulement Costello y jouait-il de la musique avec ses invités, qu'ils soient rock, country, blues, jazz ou classique, mais il leur faisait dire des choses qu'ils n'auraient peut-être pas confiées à un intervieweur de métier. Les discussions de fond sur le métier alternaient avec des anecdotes plus légères comme quand Sting a raconté qu'au sortir de la période punk, The Police n'aurait pas osé lancer une chanson avec un prénom de fille dans le titre (Roxanne) s'il n'y avait pas eu juste avant Alison d'Elvis Costello.

«J'ai été surpris moi aussi quand Bruce Springsteen m'a mentionné une boutade à son endroit que j'avais lancée de façon un peu désinvolte en 1978 (ndlr: Costello avait dit des chansons de Born to Run qu'elles étaient trop romantiques), raconte Costello. Je ne pensais pas que ça l'avait affecté parce qu'à l'époque, il était déjà une énorme star alors que je n'étais qu'un débutant qui se faisait aller la gueule [...] Il arrive que certains critiques un peu imbus d'eux-mêmes accusent les artistes d'être grandiloquents et pompeux alors que c'est leur façon de penser qui est grandiloquente et pompeuse parce qu'ils tentent de définir quelque chose qui change constamment. Mais je suis toujours étonné de découvrir que des gens que j'admire beaucoup et qui ont une grande renommée sont vulnérables et manquent de confiance en eux comme tout le monde. Ce n'est pas ce qu'on attend d'un pilote de ligne ou d'un chirurgien, mais pour un artiste, ça va.»

Elvis Costello sera sur la scène principale à Osheaga ce soir.