Le festival Nuits d'Afrique a 30 ans et c'est à peu près idem pour le raï moderne que vient commémorer ce natif de Sig, bled situé à une quarantaine de kilomètres d'Oran, soit le berceau du fameux style algérien.

«J'y étais il n'y a pas longtemps. Il y faisait très chaud. Vous, les Canadiens, devriez leur fournir un peu d'eau!» blague Rachid Taha, joint chez lui en France, soit à la veille de son départ pour une mini-tournée québécoise qui s'arrête aujourd'hui à Montréal.

Soir de raï, donc. Vraiment? Entre la musique de Rachid Taha et celles de tous ces chebs (Khaled, Mami, Sahraoui, feu Hasni, Rachid & Fethi...), chabas (Fadila, Zahouania...) ou cheikhas (Rimitti, Rabia...), n'y a-t-il pas un monde?

«Je fais du chaabi et du rock, mais, évidemment, j'ai puisé dans le raï», se défend le chanteur de 57 ans, associé à la fusion de la culture rock à celle des musiques populaires nord-africaines, notamment le châabi algérien.

Rachid Taha n'en démord pas, le raï fait partie de son expression, bien que...

«Il y a le raï des villes et il y a le raï des champs, nuance-t-il. Moi, j'aime bien le raï des champs, celui qui vient des régions rurales derrière Oran. Avant que la forme ne s'internationalise dans les années 80, les artistes des campagnes partaient de chez eux pour enregistrer à Oran. De ma même manière que les bluesmen allaient enregistrer à Memphis.»

Avant le milieu du 20e siècle, doit-on aussi rappeler, les ancêtres du raï moderne tenaient un double discours. Une part de leur répertoire chansonnier consistait à souscrire aux valeurs religieuses et morales, à célébrer les fêtes sacrées, mariages, circoncisions, funérailles... L'autre part était bannie officiellement parce qu'irrévérencieuse, évoquant les plaisirs de la chair et de l'alcool.

«Dans les campagnes, souligne en outre notre interviewé, c'était plus poétique alors que les raïmen d'aujourd'hui répètent souvent les mêmes phrases. Et... pas beaucoup de raï de nos jours. C'est un peu pauvre.»

Quoi qu'il en soit, il y aura assurément des éléments de raï dans le spectacle montréalais de Rachid Taha.

«Je peux compter sur un vrai spécialiste du raï en la personne de mon claviériste, Kenzi Bourras. Bien sûr, je vais aussi piger dans mes albums, fort possiblement interpréter une chanson inédite.»

«On va faire en sorte que le public ne s'ennuie pas et que moi, je ne m'ennuie pas. Je ne fais jamais le même concert et voilà, on vient rendre visite aux cousins. Ça va être festif!»

Ainsi, il s'amène avec ses meilleurs musiciens, dont Hakim (Hamadouche) au mandole et Yann Péchin, ex-sideman d'Alain Bashung, «un guitariste qui détonne».

Zoom, le plus récent album de Rachid Taha, remonte à 2013; de nouvelles chansons sont en chantier, encore faut-il qu'elles soient produites, mais... Rachid est en réorganisation, car il a perdu récemment son impresario Francis Kertekian, emporté par un cancer.

«Je vais d'ailleurs lui rendre hommage, car il aimait beaucoup Montréal. Moi? Si ma santé est bonne?» On lui rappelle sa «faiblesse» lors d'un spectacle donné au Métropolis il y a six ans.

«Ça arrive, mon pote, on est des humains, réplique-t-il. Là, je suis très en forme! Je viens de faire une tournée avec l'Orchestre national de musique arabe de Syrie dans le cadre d'une de ces tournées Africa Express qu'organise Damon Albarn. Ça fait plusieurs années que j'y participe et comme je suis africain et arabe, je suis toujours là sur ses tournées plus arabisantes.»

Entre autres projets, Rachid Taha participe aussi au Couscous Clan, «un groupe un peu fou où l'on chante en allemand, où l'on fait des reprises de hard rock en arabe, où l'on fait plein de choses. Rock arabe comme toujours!»

Esprit libre et laïque, le chanteur s'applique à souffler quelques airs frais à une Europe qui n'est pas ce qu'elle était.

«Ça sent un peu mauvais», soupire le rockeur du Maghreb transplanté en France depuis des lustres. «Beaucoup de populistes et des gens d'extrême droite sont portés au pouvoir en Europe, Il y a le Brexit qui est une catastrophe, il y a la mairie de Rome, il y a l'Autriche. En France? Franchement, pas terrible.»

«Voilà voilà qu'ça r'commence», comme dit cette chanson de Rachid évoquant le retour de l'intolérance. La fierté identitaire dans ce contexte, très peu pour lui.

«Je suis Nord-Africain, je suis du Maghreb, je vis en France... et c'est tout. Je viens d'une population mélangée; ses origines sont berbère, arabe, crétoise, grecque, turque, etc. Et qu'on arrête de nous faire chier avec ces histoires de races et d'origines ethniques.»

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Ce soir, 20 h 30, au Métropolis, précédé de Nomad Stones.