Hors du Nigeria, le groupe américain Antibalas demeure le vaisseau amiral de l'afrobeat. Qui aurait cru que ce groove lancé par Fela Anikulapo Kuti serait aussi présent en 2015? Joué à titre professionnel par des douzaines de formations africaines et occidentales?

Martin Perna, saxophoniste baryton et fondateur d'Antibalas en 1998, croit toujours à l'émancipation du style malgré les embûches qu'il a dû surmonter. Pour le musicien établi à Brooklyn, il ne fait aucun doute que l'horizon de l'afrobeat pourrait encore s'élargir.

«La musique d'Antibalas, tient-il à préciser, n'a jamais été conçue pour rendre hommage à Fela. L'idée était plutôt de reprendre les musiques de groove venues d'ailleurs, tout en s'inspirant de visionnaires comme le pianiste et compositeur nuyoricain Edddie Palmieri et, surtout, le leader nigérian Fela Kuti. La musique afro-caribéenne et l'afrobeat, il est vrai, sont des univers très vastes. Bien que nous ayons repris des éléments de musiques latines (par exemple, le trombone dans notre instrumentation), je conviens que l'afrobeat nous a tenus plus occupés.»

Le saxophoniste insiste sur l'étendue du vocabulaire. «Il y a eu l'avant et l'après-Fela. Il y a eu les prémices du groove africain dans le highlife du Ghana, par exemple. Aujourd'hui, l'univers de l'afrobeat est vaste. La vitesse des rythmes peut y varier de 75 à 175 pulsations par minute. Les harmonies y sont diversifiées, les rythmes y sont binaires et ternaires. En comparaison d'autres styles récents comme le dubstep, c'est beaucoup plus considérable.»

«Avec l'afrobeat, il y a encore tant à dire, l'apport rythmique, dans l'improvisation comme dans l'orchestration. Nous pouvons enrichir ce vocabulaire, bien au-delà du Nigeria.»

On comprendra qu'Antibalas n'est pas un groupe de reprises.

«Nous enregistrons d'abord de la musique originale. En concert, cependant, nous pouvons interpréter la musique de Fela ou Tony Allen [qui a été son batteur] si nous en voyons la pertinence. En Californie, par exemple, nous avons joué Water No Get Enemy, une véritable prophétie sur la sécheresse qui frappe toute cette région.»

Antibalas porte bien son nom (espagnol), force est de déduire : pare-balles contre l'essoufflement artistique. En fait, les menaces réelles qui pèsent sur le genre musical sont d'ordre économique.

«La taille des bands afrobeat, déplore-t-il, est irréconciliable avec les critères actuels de l'industrie de la musique. Si l'on observe la situation financière des trois principaux représentants de l'afrobeat mondial, c'est-à-dire les groupes de Seun et Femi Kuti (les fils de Fela) ainsi qu'Antibalas, on en constate la précarité. Même à Brooklyn, un groupe afrobeat doit faire face à une économie du spectacle... à l'africaine!

«Ainsi, des musiciens d'Antibalas doivent travailler pour d'autres artistes afin de subvenir à leurs besoins matériels - notre tromboniste tourne avec Taylor Swift, notre claviériste avec Mark Ronson, un autre avec Arcade Fire. Nos albums ont été soutenus par d'excellents labels de musique (Ninja Tune, Ropeadope, Daptone) et aucun d'entre eux n'a pu intéresser le grand public. Alors? Notre survie dépend plutôt de l'intérêt que nous portent les jeunes publics spécialisés et tous ces musiciens émergents qui nous prennent pour modèles.»

Lorsque, par ailleurs, on suggère à Martin Perna que la musique d'Antibalas est moins sale et jouée avec plus de justesse que les fameux groupes de Fela (Africa '70 ou Egypt '80), il invoque des facteurs climatiques. «Les instruments à vent n'étaient pas toujours justes à l'époque parce que le climat torride de l'Afrique désaccordait ces instruments conçus pour être joués à des températures inférieures. Ça fait partie de la facture tropicale!»

Le leader d'Antibalas croit d'ailleurs que l'afrobeat est meilleur lorsque joué dans des conditions caniculaires. «L'air doit être chaud et humide pour que cette musique soit bien rendue. C'est comme le vin, il faut la servir à la bonne température!»

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Ce soir, 21 h 30, au Village des Nuits d'Afrique, Parterre du Quartier des spectacles.