On connaissait Oumou Sangare, voix unique, star des musiques du monde et militante pour la cause des femmes en Afrique. On connaît moins Oumou Sangare, femme d'affaires redoutable.

Pourtant, la célèbre chanteuse malienne a passé le plus clair des huit dernières années à faire de la «business». Cela explique, entre autres, pourquoi elle n'a pas enregistré d'album entre Oumou (2003) et son tout dernier, Seya, sorti en 2009.

«J'étais dans autre chose, résume la diva qui se produit ce soir gratuitement au grand parterre, pour le volet extérieur des Nuits d'Afrique. Je ne pouvais pas tout faire en même temps.»

«Autre chose», c'est d'abord sa «Résidence Wassoulou», hôtel d'une vingtaine de chambres construit en plein coeur de Bamako. C'est aussi ses 10 hectares de terre, qui lui permettent d'élever du bétail et d'exploiter des plantations de maïs ou d'oranges.

Automobiles chinoises

Mais c'est surtout la compagnie d'automobiles Oumsang, à laquelle Oumou Sangare a donné son nom et sa voix. «Ces voitures sont produites en Chine, explique-t-elle. Mais nous les vendons au Mali à des prix accessibles pour les Africains».

La chanteuse a eu l'idée de se lancer dans le domaine en lisant un article sur l'industrie automobile chinoise. Ces voitures neuves et abordables lui semblaient une bonne alternative aux épaves que l'Europe «dompait» en Afrique pour le même prix. Quand la compagnie chinoise Gonow lui a proposé de commercialiser des véhicules en se servant de son image, elle a accepté.

«C'était une manière de combattre ces vieilles voitures fatiguées et polluantes que nous appelons 'France Aurevoir', dit-elle. Pour le même prix, les Africains peuvent maintenant avoir du neuf et du confort.»

Lancée en 2006, Oumsang s'est d'abord spécialisée dans le 4x4 de luxe. Puis dans la voiture de base, comme en témoigne cet excellent clip trouvé sur Youtube. La marque a notamment été adoptée par le parc de taxis de Bamako, qui compte actuellement 200 autos de marque Oumsang. Fiables, les véhicules chinois?

«Ça dépend des normes, répond la chanteuse. Mais nos moteurs sont quand même japonais...» précise-t-elle, en ajoutant que la marque a rendu les Maliens «très fiers». À savoir si les ventes vont bien, elle répond: «j'en ai vendu un peu», avant de se raviser et dire: «beaucoup». Hem...

Création d'emplois

Avec ses entreprises, Oumou Sangare se targue d'avoir créé plusieurs emplois au Mali, un pays où le taux de chômage avoisine les 15%. Sur une base plus personnelle, elle y voit aussi une police d'assurance pour ses vieux jours.

«Quand j'aurai 70 ans et que je ne pourrai plus faire de scène, j'aurai encore mon «business» lance la prévoyante femme d'affaires. Au Mali, vous savez, le piratage est roi et on ne reçoit presque pas de droits d'auteur. Alors voilà, j'essaie de préparer ma retraite!»

À 43 ans, Oumou Sangare a encore beaucoup de temps devant elle. Mais il est vrai que, 20 ans après ses débuts retentissants (son premier tube, Moussoulou, s'est écoulé à 200 000 exemplaires en Afrique de l'Ouest en 1989), la grande dame de la chanson malienne n'est plus une néophyte.

Comment perçoit-elle son évolution musicale, artistique? «Je ne dirais pas que j'ai changé, mais j'ai évolué», répond-elle, après une seconde de réflexion. Ah oui? Et comment?

«Avant j'étais trop agressive. Au fil du temps, je suis devenue plus douce. J'ai appris qu'il fallait dialoguer au lieu d'attaquer», dit-elle.

Mme Sangare fait, bien sûr, allusion à ses textes engagés qui ont toujours défendu la cause des femmes africaines, en s'attaquant notamment à la polygamie et au mariage forcé.

Militante

Elle ne saurait dire si son militantisme acharné y est pour quelque chose («chacun contribue à sa façon»), mais il est clair que les choses se sont grandement améliorées au Mali. Le mariage forcé est de plus en plus rare, et l'éducation, de plus en plus accessible pour les jeunes filles, aujourd'hui beaucoup plus conscientes de leurs droits.

«Une fille instruite, on ne peut pas lui faire faire n'importe quoi», lance la chanteuse. Signe des temps: c'est une femme, Cissé Mariam Kaïdama Sidibé, qui est désormais première ministre du pays.

Attention: Oumou Sangare n'a pas pour autant rentré ses griffes! Même si son dernier album transpire l'optimisme, la diva continue de dénoncer avec insistance. Entre deux chansons plus harmonieuses, elle s'en prend ainsi aux mariages bâclés (Sounsoumba) ou forcés (Wele Wele Wintou), comme aux inégalités sociales (Kounadya) et au drame des immigrés Soninké du Mali (Sukunyali).

«Parler au nom des sans-voix, c'est mon combat depuis toujours, dit-elle, plus tonique que jamais. J'ai une tribune, je dois la prendre pour passer mes messages. Au début, il m'a fallu du courage. J'ai été agressive. Mais je n'ai aucun regret.»

Quel contraste avec cette voix enjôleuse qui accompagne les pubs de voitures Oumsang!

OUMOU SANGARE se produit ce soir à 21h, sur le Grand parterre du Quartier des spectacles, dans le cadre des Nuits d'Afrique.