Depuis 20 ans, le groupe français Tryo fabrique des chansons engagées sur des rythmes festifs. Leur nouveau disque Vent debout, que les quatre musiciens viennent présenter ce soir au Métropolis dans le cadre de Montréal en lumière, n'y fait pas exception.

Nous avons rencontré deux des membres du groupe, Christophe Mali et Cyril Célestin, dit Guizmo, pour faire un état des lieux politiques et sociaux de la France à deux mois de l'élection présidentielle.

Comment va la France?

Bien et mal, répond Christophe Mali. «Elle va bien parce que ça reste la France, un pays avec une vraie liberté d'expression, un esprit libre. Et elle va mal, comme partout dans le monde et en Europe, parce qu'il y a un grand désir de changement et que, paradoxalement, on a l'impression qu'il ne peut venir que par les extrêmes.» Mais les deux chanteurs restent optimistes. «Il y a des gens qui essaient de faire avancer les choses malgré la morosité ambiante, rappelle Guizmo. Le titre de notre disque, Vent debout, fait penser au mouvement Nuit debout, mais aussi à cette idée d'ouverture et de prise de parole citoyenne, qui existe.»

Comment va la jeunesse française?

Christophe estime qu'une partie de la jeunesse française s'est sentie trahie par ses dirigeants. «Et cette jeunesse s'est réveillée. On l'a vu aux primaires, elle a balayé toute une génération d'hommes politiques, que ce soit Sarkozy, Valls, Juppé, Hollande. Aujourd'hui, si Benoît Hamon [NDLR: candidat du Parti socialiste à la présidentielle] fait un tel score, si on a une gauche de nouveau vraiment tournée vers la gauche, c'est parce que la jeunesse est derrière. Et une jeunesse qui vote et qui s'implique, c'est une jeunesse qui va bien.» Tryo, qui a été un des porte-étendards de la mouvance altermondialiste des années 2000, reste d'ailleurs connecté sur les jeunes d'aujourd'hui. «On a la chance d'avoir un public multigénérationnel, dit Christophe. À notre grand étonnement, les lycéens se passent encore l'album de Tryo de main à main.»

Comment va la gauche?

Sur Vent debout, Tryo ne se gêne pas pour pourfendre une gauche qui a renié ses idéaux. «On est plus qu'amers des années Hollande, dit Christophe. On s'attendait à une politique de gauche, et on a eu une politique de droite.» Leur constat en 2017: la gauche est enfin en train de changer. «L'arrivée de Hamon et des frondeurs qui critiquaient les politiques du gouvernement ramène les valeurs de gauche humanistes et écologistes. Mais on attend de voir, la campagne présidentielle est à peine commencée. Ce qu'on regrette, c'est qu'il n'y aura pas de grand rassemblement de la gauche derrière un seul candidat.»

Comment va la droite?

Mal, répondent les deux musiciens. À leur grand étonnement. «François Fillon [NDLR: candidat républicain à la présidentielle] était un vrai candidat de droite, élu majoritairement par son parti, dit Christophe. Et puis avec les "affaires" autour de lui, tout s'est cassé. On n'aurait jamais pu imaginer que ça arrive aux Républicains. Et ça, ce n'est pas une bonne nouvelle pour la gauche, car la seule chose qui peut faire gagner le Front national, c'est qu'une des deux grandes formations politiques s'effondre. Comme gauchistes, on pourrait être contents, mais la droite va très mal et il y en a une qui continue son chemin très paisiblement: c'est Marine Le Pen.»

Comment va Marine Le Pen?

«Elle surfe sur la peur, dit Guizmo. Elle est très bien dans ses chaussures en ce moment.» Les deux chanteurs estiment que la dirigeante du Front national a grandement lissé son discours pour tromper la population et que ses chances de devenir présidente vont en augmentant. «Elle cache sa véritable pensée idéologique, ajoute Christophe. Il faut rappeler que Le Pen, c'est le nationalisme à outrance, et qu'elle est entourée de gens issus de partis extrémistes. Non seulement elle ne le dit pas, mais elle ment. Et ça marche, elle donne aux gens ce qu'ils ont envie d'entendre.»

Comment va Tryo?

«Bien!, lance Christophe, qui raconte que le groupe avait très envie de revenir sur scène. Quand on s'est retrouvés après les attentats, au début de la crise de réfugiés, les sujets étaient brûlants. Ce disque est politique, au sens large, à 99 %, et nous voulions ça parce qu'aujourd'hui, on entend surtout dans le débat public ceux qui portent le repli sur soi, comme Alain Finkielkraut, Éric Zemmour...» Le groupe est heureux de revenir au Québec, où il a développé des liens solides. «Nous avons une vraie histoire ici, rappelle Christophe. Nous avons fait beaucoup de tournée, même en hiver! Nous avons des dates prévues en France jusqu'en octobre, mais nous reviendrons au Québec faire d'autres spectacles à l'automne, à Sherbrooke, Chicoutimi, Matane, Trois-Rivières...»

Comment va la chanson engagée?

Tryo a toujours aimé mélanger textes engagés et musique rythmée. «C'est notre manière de passer le message, dit Guizmo. Le reggae, c'est le soleil, l'optimisme, la danse. On peut dire des choses sérieuses en s'amusant! Il y a aussi de l'ironie chez Tryo, il ne faut pas tout prendre au premier degré.» Reste qu'il est plus difficile de percer le mur des diffuseurs aujourd'hui, croit Christophe. «On est loin du temps où une chanson comme Miss Maggie de Renaud tournait en boucle à la radio, dit-il. Il y a encore des artistes qui font des chansons engagées, c'est juste qu'elles ne sont pas relayées.» «Par contre les réseaux sociaux sont très actifs et diffusent nos musiques et nos textes», ajoute Guizmo. Christophe opine. «La chanson engagée va bien, car l'essentiel, c'est que les chansons existent.»

________________________________________________________________________________

En spectacle ce soir au Métropolis dans le cadre de Montréal en lumières et demain au Grand Théâtre de Québec.

Vent debout. Tryo. Glassnote.

IMAGE FOURNIE PAR GLASSNOTE

Vent debout, de Tryo