Pour sa grande tournée québécoise - 13 villes et un Mégantic-Sept-Îles! -, le quintette français arrive avec une galerie de personnages chers à Bob Dylan... et plein d'instruments «impossibles».

Ils ont pris le nom de Moriarty, l'un des personnages du roman On the Road de Jack Kerouac, fils américain d'une famille canadienne-française de Lowell, au Massachusetts, et père de la Beat Generation.

Ils sont nés en France de parents américains, chantent en anglais, l'anglais que parlaient leurs pères et leurs mères dans leur jeunesse. «Sans les mauvais mots de la langue moderne des jeunes d'aujourd'hui», nous dira d'entrée Arthur Gillette, le guitariste de Moriarty, joint à Paris lundi dernier, la veille du départ du groupe pour son troisième voyage au Québec en trois ans.

«Rosemary chante aussi en italien, en chinois et en japonais», ajoute Arthur Moriarty - son nom de scène - à qui l'on demandait d'expliquer le succès de Moriarty en France, où l'anglais, de quelque époque que ce soit, n'est pas très bien compris. «Nous n'avons pas de tabous avec la langue...»

Les Québécois non plus - avec la langue chansonnière en tout cas - qui, depuis jeudi, ont applaudi Moriarty à Québec, Sherbrooke et Sainte-Marie-de-Beauce; le quintette s'est produit lundi à La Tulipe, sous le grand parapluie de Montréal en lumière. Au programme: les chansons du CD Fugitives, sorti au Québec il y a deux semaines (moriartyland.net).

«À Paris en 2012, raconte Arthur, nous avions donné un concert conçu à partir des musiques qui avaient influencé Bob Dylan, jeune. Après, quelqu'un nous a dit: pourquoi vous n'en faites pas un disque?» Et voici Fugitives, formidable galerie de personnages, séducteurs, bad girls, fuyards, pushers et autres assassins qui, pour la plupart, ont égayé en chansons la première moitié du XXe siècle américain.

Rencontrez donc le Candyman de Mississippi John Hurt, The Ramblin'Man de Hank Williams, Pretty Boy Floyd dont Woodie Guthrie chantait l'histoire: ennemi public no. 1 descendu par le FBI dans un champ de blé d'Inde de l'Ohio en 1934. Dans Fugitives, Moriarty raconte aussi quelques histoires «étrangères», comme la ballade traditionnelle anglaise Matty Groves, du nom d'un serviteur qui s'envoyait en l'air avec Madame... jusqu'à ce que Lord Daniel allume et les trépasse. Et Moonshiner, chanson de whiskey popularisée en Irlande dans les années 30 et reprise par Dylan en 1963. Aussi, deux chansons en français: Matin pas en mai, une complainte cajun enregistrée avec les «cousins» suisses de Mama Rosin - on dirait Mononc' Serge en hypoglycémie - et Belle que Moriarty avait déjà à son répertoire, au Festival de jazz de 2012.

Assez glauques, ces petits films (noirs) que Moriarty, dans l'interprétation, ne fait rien pour rendre jojo. «Ce n'est pas la joie, c'est vrai, dira Arthur. Mais ça ne découle pas d'un choix délibéré. On en joue quelques-unes assez up tempo...» Avec toutes sortes d'instruments...

Une vingtaine d'instruments

Pas de tabous non plus dans l'approche instrumentale de Moriarty: «La voix de Rosemary est l'un des instruments du groupe, qui n'est pas un backing band accompagnant une chanteuse. Nous choisissons les instruments qui se marient le mieux à sa voix et nous essayons d'intégrer le tout.» Dans Fugitives, on entend une vingtaine d'instruments, du sitar électrique au melodeon en passant par la guitare baryton, le banjo et la guimbarde, beaucoup de guimbarde...

«Nous rapportons des instruments de nos voyages. Nous avons un dobro de 1928, un harmonium ramené de l'Inde, et une vieille guitare Silverstone des années 50.» La marque de Sears dans le temps, la guitare sur laquelle ont commencé bien des guitaristes dont Dylan. «Ces instruments sont passés par beaucoup de mains. En nous les appropriant, on convoque les fantômes: nous ne contrôlons rien...»

Fantômes minimalistes au max dans le traditionnel Saint James Infirmary, où ils laissent toute la place à la voix merveilleusement cristalline de Rosemary Standley, plus sautillants dans The Crapshooter Blues que chante fort bien Arthur. Moriarty se promène dans le triangle rock-blues-folk, genres que le groupe garde ouverts et malléables, tant au point de vue rythmique que mélodique.

Pour sa grande tournée québécoise - 13 villes en 17 jours, 3250 km de route dont 830 pour la seule «traversée» Lac-Mégantic-Sept-Îles, Moriarty est venu à cinq, mais sans batterie, s'en remettant, selon Arthur, à des «percus impossibles» qui débouchent sur un son plus folk.

Au contenu de Fugitives s'ajoutent des relectures de pièces originales du CD The Missing Room (2011) et des interprétations «encore fragiles» de nouvelles chansons que Moriarty crée d'abord sur scène avant de les enregistrer. «C'est précieux de pouvoir faire ça devant le public», souligne Arthur Gillette en précisant que Neil Young a longtemps utilisé cette approche. «Parfois, ça tourne à la catastrophe, mais lui, c'était avant YouTube...

«Soyez bienveillants...»