«Je ne suis pas une chanteuse d'opéra.» Marie-Josée Lord a laissé tomber cette phrase malheureuse hier soir au cours de son spectacle et je ne comprends pas encore ce qu'elle a voulu dire.

Si la soprano montréalaise d'origine haïtienne n'est pas une chanteuse d'opéra, je me demande bien ce qu'elle est! A-t-elle voulu, par cette «confidence», plaire au public populaire accouru l'entendre - le parterre de Maisonneuve était comble - et qui se pâmait en l'écoutant chanter les Starmania et autres platitudes? Si tel est le cas, ce serait grand dommage.

Je laisse à ceux qui s'en délectent les quelques chansons qu'elle avait programmées, dont j'ignore jusqu'au nom des auteurs et qui sont toutes d'un vide accablant aux plans du texte et de la musique, et me réjouis de ce qu'avait réservé aux amateurs d'opéra celle qui semble vouloir se détacher de cet univers. Je m'en réjouis d'autant plus que cet auditoire a aussi vibré à Verdi et aux autres immortels du programme.

Cette fois encore, Montréal «en lumière» restait dans l'obscurité pour ce qui concerne les pièces chantées. Le programme remis à la porte ne contenait pas le moindre titre : il fallait s'en remettre aux présentations, non toujours claires, de la chanteuse au micro.

Marie-Josée Lord a chanté une bonne demi-douzaine des grands airs les plus célèbres du théâtre lyrique et, de chacun, a donné une interprétation pleinement convaincante à tous égards. Elle prit une voix sombre de mezzo et esquissa les gestes appropriés pour la Habanera de Carmen, colora de son riche spinto l'air de La Wally de Catalani immortalisé par le film Diva, mima en le chantant chaque mot de l'Air des bijoux de Faust, fit planer sur le plus exquis fil di voce le Summertime de Porgy and Bess (qui est aussi un opéra et non un «musical»!), nous émut aux larmes dans l'air de Roussalka de Dvorak et fit revivre tous les états d'âme que traverse Violetta dans la grande scena du premier acte de La Traviata.

Au début du concert, une voix anonyme annonça l'entrée «sans plus tarder» de la chanteuse... qui tarda pendant de longues minutes. Et encore, on entendit d'abord sa voix seulement, évoquant son enfance. C'est ensuite seulement qu'elle parut enfin.

Se présentant après l'entracte dans une très courte robe noire à paillettes, la chanteuse se montra tout aussi à l'aise dans des extraits contrastants de West Side Story et apporta beaucoup d'émotion au fameux Amazing Grace donné en rappel.

Alain Trudel et l'Orchestre Métropolitain lui fournirent un solide accompagnement, si l'on excepte plusieurs coups de cymbales engloutissant sa voix et un solo de violoncelle remarquablement faux dans l'air de La Traviata.

Dans l'assistance, on remarquait le ministre des Finances, Raymond Bachand, de même que Michel Beaulac, le directeur artistique de l'Opéra de Montréal. Celle qui n'est «pas» une chanteuse d'opéra retournera-t-elle à l'OdM?...

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MARIE-JOSÉE LORD, soprano. Orchestre Métropolitain. Chef d'orchestre: Alain Trudel. Hier soir, salle Maisonneuve de la Place des Arts. Festival Montréal en lumière.