La compagnie française Rasposo traverse pour la première fois l'Atlantique avec Le chant du dindon, spectacle de cirque-théâtre aux relents manouches qu'elle trimballe depuis deux ans et demi en Europe. Cette troupe composée de 15 acrobates, musiciens et comédiens, pour qui le cirque est une affaire de famille, arrive avec son chapiteau intime sous lequel artistes et spectateurs peuvent se regarder dans les yeux.

Fanny et Joseph Molliens ont fondé Rasposo en 1987. Dès le départ, leur but était de mêler cirque et théâtre. Après s'être produits pendant des années dans la rue, ils travaillent maintenant sous chapiteau. Leurs trois enfants font évidemment partie de la troupe depuis le début. «J'ai commencé la figuration à 4 ans, j'ai fait du cirque pour la première fois à 8 ans», raconte Marie, 33 ans, fil-de-fériste qui travaille aussi avec sa mère à l'écriture et à la direction artistique, alors que Vincent, clown et acrobate, s'occupe de la scénographie.

«Il y a du bon et du mauvais dans le travail en famille, raconte Fanny Molliens. C'est plus facile parce qu'on se connaît parfaitement, mais, des fois, on manque de diplomatie les uns envers les autres.» Rasposo signifie d'ailleurs rêche, rugueux en espagnol, et oui, le mot leur va très bien! «Quand nous avons choisi ce nom, nous ne savions pas ce que ça voulait dire... Mais c'est vrai que nous avons ce côté un peu âpre entre nous, exigeant aussi. Il le faut pour que ça avance.»

Rasposo, c'est en fait une famille élargie de 8 acrobates, 3 comédiens et 4 musiciens âgés de 25 à 65 ans - «comme dans la vie, toutes les générations sont représentées», dit Fanny Molliens - qui vivent comme une vraie troupe de saltimbanques, sillonnant les routes d'Europe avec leur matériel, leurs chiens et, bien sûr, leurs dindons. Cette année seulement, Le chant du dindon aura été joué plus d'une centaine de fois.

«Nous passons beaucoup de temps ensemble, et plusieurs des membres de Rasposo sont avec nous depuis plusieurs années.»

Le chant du dindon porte d'ailleurs un regard sur les dessous de cette vie commune, dans une allégorie de la vie en société. «Le dindon du titre, ça vient de l'expression «le dindon de la farce». Ce spectacle raconte à quel point ce n'est pas rigolo tous les jours d'être un artiste. C'est l'envers de la médaille qu'on veut montrer. Les artistes donnent leur vie, prennent des risques physiquement, et, même si ç'a l'air merveilleux pour le public, ce n'est pas le cas. Il y a beaucoup de solitude. Alors dans la farce de la vie, le dindon, c'est l'artiste...»

Ce vague à l'âme est cependant porté par la musique joyeuse d'inspiration tzigane et des moments de joie fulgurante - Le chant du dindon est foisonnant, musical, échevelé. «Les seuls moments de bonheur des artistes, ce sont les moments intenses de création, et la rencontre avec le public», soutient Fanny Molliens. Rasposo, d'ailleurs, suscite cette rencontre en choisissant de placer sa scène minuscule tout près des gradins. «Nous partageons le même espace.»

Il n'y a pas de mur comme au théâtre, pas de séparation: spectateurs et acrobates sont ensemble dans une proximité et une intimités totales. «On ne sait plus si c'est nous qui sommes chez eux, ou eux qui sont chez nous, dit en souriant Marie Mollens. Les rares fois où nous jouons dans des théâtres, ce contact nous manque.» Pour sa mère, le cirque est indissociable du chapiteau. «Je ne sais pas pourquoi tant de compagnies se produisent maintenant sur des scènes... Le chapiteau est l'outil idéal du cirque, là où on est le mieux.»

Pièce de théâtre

Rasposo aborde le spectacle de cirque comme une grande pièce de théâtre où ce sont les rapports entre les personnages qui priment. Même la musique, omniprésente, est là pour traduire des émotions précises. «Nous demandons à nos acrobates d'être de haut niveau, mais aussi d'être capables de jouer la comédie, souligne Fanny Molliens. Il n'y a pas de dialogue dans Le chant du dindon, mais chacun a son personnage et doit le tenir jusqu'à la fin.»

Pendant deux heures, les 15 artistes cohabitent sur leur petite scène, et ne la quittent jamais. Tout peut donc se passer dans ce décor hétéroclite fait de lustres et de velours. «Notre inspiration est plus près de Fellini et des toiles de Toulouse-Lautrec», dit Marie Molliens. Fanny Molliens aime bien ce retour au cirque d'antan, mais pour elle, Rasposo n'a rien de traditionnel. «C'est un mélange de cirque et de théâtre pendant lequel chaque mouvement a une signification et raconte une histoire. On est loin des numéros de cirque qui se succèdent où le but n'est que de dire «regarde ce que je sais faire».»

Entre l'épure à la mode présentement et son décor un peu bric à brac, Fanny Molliens choisit ses vieux meubles. «On n'a pas envie d'être clean!»

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Le chant du dindon, jusqu'au 24 juillet à la place du chapiteau TOHU.