Troisième et dernier spectacle de clown présenté par Montréal complètement cirque, Le 6e jour met en scène Arletti, personnage poétique et naïf qui est interprété depuis 20 ans par la comédienne Catherine Germain. Avec son coeur d'enfant, sa spontanéité et ses excès de toutes sortes, elle revisite rien de moins que la Genèse et offre un des spectacles les plus tendres et les plus beaux du festival. Et probablement un des plus franchement drôles.

Pas d'humour noir, pas de sarcasme, pas de troisième degré chez Arletti. Seulement un personnage diablement particulier avec ses cheveux de dentelle noire parsemés de ronds blancs, son minuscule chapeau et ses gants rouges et son long manteau. Ce pourrait être autant un garçon qu'une fille, mais ce n'est pas important. Ce qui compte c'est qu'elle a quelque chose à faire et que malgré sa maladresse et son stress, elle va se rendre (presque) jusqu'au bout.

Arletti arrive sur scène avec un porte-document et s'installe derrière une table beaucoup trop haute pour elle. Pendant les longues minutes, elle va en vider le contenu, placer et déplacer les objets, les laisser tomber, tout en échappant de petits soupirs et des bruits étranges, le corps et le visage plein de tics et de mimiques.

Puis, comme on se met à penser que cette préparation, aussi amusante soit-elle, ne pourra pas durer encore longtemps, Arletti commence à parler : «Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.»  C'est le début de sa conférence et la voilà partie pour une lecture commentée de la Genèse. À la fin de la première journée par exemple, Arletti s'exclame : «Il va s'en passer des choses, on a hâte de savoir la suite!»

La lecture ne va pas sans heurt non plus. Elle bûche par exemple sur mot «constater». Ce n'est pas innocent et cela revient comme un leitmotiv, prétexte à des exercices de diction hilarants. Lorsqu'une série d'incidents l'empêche de se rendre au sixième jour, elle se rend compte avec horreur que l'humain n'a pas encore été créé. Comment continuer le spectacle si nous n'avons pas été «constatés» comme l'eau, les plantes et les animaux?

Totalement dans l'instant présent, sans jamais en faire trop - il y a une finesse dans son geste, même ses éclats et ses cris sont surprenants mais jamais stridents -, Arletti vient donc doucement à la rencontre des autres, étape par étape. Dans la dernière partie, alors que tout se déglingue, qu'il y a de l'eau partout sur le plancher et que le sixième jour reste introuvable, sa timidité tombe et elle se balade dans le public, moqueuse - «La Bible, c'est moi qui l'ai écrite, le plus dur c'est les photocopies...».

La détente est alors totale, pour elle comme pour les spectateurs, et c'est un véritable et rare instant de communion qui est vécu. Jusqu'à ce qu'elle retourne sur scène et disparaisse sous une lumière qui s'éteint lentement : ce monde merveilleux et poétique qui nous a menés de surprise en surprise, où l'on enferme les mouches dans de boîtes de bonbons, où on s'abrite sous la table quand pleut une pluie de papiers, où on tourne en rond en paniquant quand le feu prend, vient de s'éteindre.

Il faut être particulièrement blindé pour ne pas ressortir de l'univers d'Arletti avec le sourire. De notre côté, on ne se ferait pas prier pour y retourner encore, tellement ce spectacle est un véritable baume pour l'âme.

À l'Espace libre jusqu'à dimanche.