La première de Totem, de retour à Montréal après une tournée de près d'un an, a été chaudement applaudie mercredi soir sous le chapiteau bleu et jaune du Cirque du Soleil. Les 12 numéros d'origine ont été présentés avec de légers remaniements et d'impressionnantes transitions, apparemment enrichies. En tout cas, nos espions, qui ont assisté à la création au mois d'avril 2010, étaient unanimes pour dire que ce Totem, mis en scène par Robert Lepage, était plus abouti.

Ce que l'on constate, du début à la fin de cette fable acrobatique sur l'évolution de l'espèce humaine, c'est le plaisir évident qu'ont les 52 artistes à réaliser leurs performances malgré (ou à cause) des 400 représentations qu'ils ont dans le corps. Certains y allant même de clins d'oeil complices à la suite de leurs numéros. On raconte dans la tente des artistes que les interprètes ont réussi à tisser entre eux de véritables liens d'amitié au cours de la tournée. On n'a pas de difficulté à le croire.

La scène d'ouverture est magistrale, avec l'apparition de l'homme de cristal (symbole du big bang), juste au-dessus de l'immense structure représentant la carapace d'une tortue, dans laquelle une quinzaine de grenouilles font un numéro de barre fixe. La quasi-totalité des numéros qui suivent nous font le même effet : le sentiment d'assister à des performances frisant la perfection. Les interprètes ont beau être des artistes dans l'âme, ils s'entraînent à la manière d'athlètes olympiques, dans une recherche constante de pureté.

Revisiter les classiques

Totem ne réinvente pas les numéros de cirque, mais revisite ses classiques avec maestria. Qu'il s'agisse des anneaux aériens (un trio découpé au couteau), des monocycles (cinq Chinoises juchées sur des monocycles de huit pieds de hauteur qui se lancent des bols sur la tête), du numéro de jonglerie dans un immense entonnoir en verre, du numéro de perches, où l'on retient vraiment son souffle, ou encore des barres russes (numéro des cosmonautes), le Cirque du Soleil nous donne à voir la crème des artistes circassiens (majoritairement russes et chinois).

Les deux duos au programme sont particulièrement réussis. D'abord celui des Québécois Rosalie Ducharme et Louis-David Simoneau, qui font un numéro de trapèze renversant, original, finement chorégraphié, ludique, poétique. Ensuite, celui du couple italo-espagnol formé de Massimiliano Medini et Denise Garcià, qui font un numéro de patins à roulettes spectaculaire. Le tout enrobé par la musique percussive des huit musiciens dissimulés dans le décor, que l'on voit également sur scène, notamment pendant la superbe danse des cerceaux du jeune Autochtone Nakotah Larance.

La mise en scène de Robert Lepage est remarquable. Comme le disait ma collègue Marie-Christine Blais l'an dernier, « Lepage a décidé de ne pas théâtraliser le cirque, il a plutôt choisi d'embrasser ce monde et de le pousser encore un peu plus loin en s'inspirant de cette part admirablement animale en nous : notre corps ». Ses projections, à la fois simples et ingénieuses, contribuent largement à l'esthétique de Totem, qui explore l'évolution de l'espèce humaine, de notre état de têtard à l'homme en complet-cravate, désireux d'explorer le cosmos.

Je ne suis pas sûr que la signification des personnages imaginés par les concepteurs - dont le scientifique, le toréador et l'homme de cristal - soit très claire. Comme la justification des costumes - les acrobates du numéro de perches dans des costumes de tigres (?) -, mais peu importe. Le thème de l'origine de l'homme nous habite pendant toute la représentation, avec de nombreux passages ludiques, comme ceux de la marche de l'évolution, du ski nautique ou du bateau de pêche, menés par deux clowns efficaces, qui contribuent à donner un visage humain à ce spectacle de cirque autrement presque trop parfait.

Jusqu'au 31 juillet sous le chapiteau du Cirque du Soleil dans le Vieux-Port de Montréal.