Chorégraphe américaine installée depuis plusieurs années en Europe, où elle se promène entre Berlin et Bruxelles, Meg Stuart poursuit sa recherche autour de la vulnérabilité du corps humain avec Until Our Hearts Stop, créé en 2016. La Presse a joint à Berlin celle qui s'est vu récemment remettre un Lion d'or soulignant sa fructueuse carrière, à la Biennale de Venise.

La dernière fois que vous avez été programmée au FTA, en 2014, vous avez reçu la même année le Grand Prix de la danse pour l'ensemble de votre oeuvre. Que représentent ce festival et la ville de Montréal pour vous?

J'adore venir à Montréal. Je crois que sa scène culturelle est tellement vibrante. Je respecte beaucoup la danse et les chorégraphes qui viennent de Montréal. J'ai hâte de montrer ce nouveau travail au public montréalais, même si je ne pourrai probablement pas venir au festival cette année, malheureusement.

Quelle était votre intention lorsque vous avez commencé à travailler sur Until Our Hearts Stop?

Comme j'avais fait un solo précédemment [Hunter, présenté à l'Usine C en 2016], je savais que je voulais faire une pièce de groupe. J'avais envie d'explorer les contacts physiques, de mettre ensemble des corps qui se rencontrent. De voir comment les corps peuvent communiquer, oui, mais aussi d'explorer la notion d'intimité à travers la chair, le désir, la sueur, le toucher... Le tout campé dans un espace plus vaste, car j'avais auparavant travaillé sur l'intimité, en duo, dans un espace plus restreint.

La pièce s'attarde également à la notion de magie. Pourquoi cette thématique vous a-t-elle intéressée?

J'ai voulu connecter toutes ces notions - une grande scène, un groupe, l'intimité, la chair - avec la magie. La magie, c'est l'illusion, un acte symbolique qui est mis en scène - un peu comme l'est la représentation -, mais c'est aussi lié à cet émerveillement que nous avons, enfants, une porte ouverte sur l'espoir, sur ces forces qui nous meuvent et dont nous ne comprenons pas toujours l'origine et le sens. Vous savez, on vit à une époque étrange où l'on ne sait plus trop en quoi nous croyons, ce qui nous rassemble. J'avais cette envie de connecter le visible et l'invisible.

L'intimité réelle, que ce soit avec soi-même ou avec l'autre, est souvent une quête teintée d'impossibilité. Est-ce que c'est ce type de dynamique qui s'installe sur scène, entre les danseurs?

Je crois qu'on doit se battre pour notre corps, pour l'habiter, pour vivre, pour être dans l'instant présent. C'est une bataille pour la chair... C'est quelque chose qui peut être effrayant, car on se retrouve en position de vulnérabilité. Dans le spectacle, la notion de frontière est importante: où l'individualité commence-t-elle et se termine-t-elle, que partageons-nous, qu'est-ce qui est à moi et à toi, jusqu'où serions-nous prêt à aller pour l'autre? Des questions qui amènent aussi vers des enjeux très actuels concernant la communauté, l'ouverture aux étrangers, la différence.

Until Our Hearts Stop est une pièce qu'on dit très physique. Elle implique beaucoup de manipulations, de la nudité frontale, mais vous utilisez aussi, à un certain moment, le langage, en vous adressant au public. Est-ce que ces deux formes d'expression se complètent ou si elles s'opposent?

Probablement un peu des deux! Le langage permet d'atteindre le public d'une façon différente, de venir créer un changement de perception. Le fait de m'adresser au spectateur, je crois que ça peut susciter chez lui de nouveaux questionnements, élargir le propos. Le changement de ton cause également la surprise - tout à coup, on ne sait plus où tout s'en va -, et c'est là que la magie apparaît.

C'est donc une façon, également, de créer de l'intimité avec les spectateurs?

Oui, et de les amener à se questionner sur les relations, à quel point ils se sentent connectés avec leur environnement, comment ils traitent les autres et les perçoivent. C'est un peu comme si on leur renvoyait la question posée sur scène.

_______________________________________________________________

À l'Usine C, aujourd'hui et demain, dans le cadre du Festival TransAmériques.

Photo Iris Janke, fournie par le Festival TransAmériques

Until Our Hearts Stop de Meg Stuart