Le collectif (LA)HORDE serait la première troupe à avoir revendiqué une danse post-internet. On comprend tout le sens de l'expression en assistant à To Da Bone, pièce tout à fait de son temps inspirée du jumpstyle, danse associée à un style de musique techno né sur les pistes de danse, mais propulsé grâce au web.

Ils sont 11. Des « jumpers » issus de toutes les nationalités, dix hommes de France, d'Ukraine, de Hongrie, d'Allemagne, de Pologne, et une femme (Camille Dubé Bouchard alias Dubz, une Québécoise). Dès l'introduction, assez théâtrale, où chacun fait son entrée en fixant bien le public, avant d'aller se planter à sa place, la table est mise : ils sont là pour être regardés et savent qu'on les observe.

Ces jumpers autodidactes ont été recrutés par le collectif parisien (LA)HORDE. Nés derrière l'écran, c'est là qu'ils ont évolué, perfectionné et personnalisé leur style, et ils se retrouvent maintenant sur scène afin de nous montrer ce qu'ils savent faire.

Du moins, c'est ainsi ce qu'on pourrait être porté à croire après les essoufflantes premières minutes où les jumpers, rassemblés dans ce qui prend des airs de bataillon, entament sur des comptes précis une danse presque martiale, rythmée par leurs plantes et bouts de pieds qui battent le sol dans une cadence ultrarapide, le tout parsemé de « kicks » et de sauts énergiques.

Mais après cette partie survoltée, la tension retombe. Le spectacle est-il fini ? Ils reprennent leur souffle, se félicitent. Les mouvements se font plus lents, se déconstruisent, offrant soudainement une nouvelle perspective. Certains danseurs nous adressent la parole, dans leur langue étrangère, se racontent sans qu'on les comprenne, la plupart du temps.

Le jumpstyle s'est répandu un peu partout à travers le monde grâce aux réseaux sociaux comme YouTube. En cette ère post-internet, To Da Bone s'abreuve sans complexe à cette mosaïque de cultures pour teinter le style de ses multiples couleurs ; ici, on reconnaît des mouvements typiques de breakdance, là, l'esquisse d'une danse folklorique russe, puis, tout à coup, on est transporté dans une boîte de nuit enfumée où se détachent des silhouettes sur une piste de danse.

To Da Bone joue aussi habilement avec le réel et le virtuel, ajoutant des dimensions à l'action qui se passe sur scène grâce à un grand drap blanc suspendu, sur lequel est projeté en direct ce qui est filmé par une petite caméra manipulée par les danseurs. Ces derniers se regardent se regarder tout en discourant sur le jumpstyle - un épisode un peu longuet -, créant une mise en abyme où on ne sait plus, au juste, sur quel plan se déroule la représentation : sur scène ou sur écran ? Un jeu de miroirs qui nous renvoie à notre monde, où la frontière entre réalité et virtualité est de plus en plus brouillée.

Au Théâtre Rouge du Conservatoire, jeudi soir, à 21 h.