Dana Michel nous offre la première mondiale de Mercurial George au Festival TransAmériques (FTA). Avant l'Autriche, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l'Espagne.

Avec ses grands bras et son rire généreux, Dana Michel pourrait embrasser la terre entière. Elle voudrait sans doute le faire si elle le pouvait. Si la danse et la maternité lui en laissaient le temps. 

Elle est maman manitou, mère qui manie tout. Obsessionnelle-compulsive qui s'assume. Et hypersensible. 

« Je suis comme ça. Je commence à en être fière. Cela me sert beaucoup. Ça me permet de fouiller des coins cachés et d'apporter quelque chose à la richesse de mes performances, je crois. La découverte d'une miette sous un bibelot, par exemple, peut déclencher le souvenir d'une saveur vieille de cinq ans qui vient ajouter à ce que je fais. » 

Elle revient tout juste d'une tournée française avec Yellow Towel, le solo qui lui a valu en 2014 un prix au réputé festival ImPulsTanz de Vienne. Entre son fiston Roscoe et la création, sa vie est trépidante.

PHOTO FRANçOIS ROY, LA PRESSE

La danseuse a inclus son jeune fils Roscoe dans les crédits de production de Mercurial George. « Avoir un enfant me ramène à la base, aux fonctionnements primaires de ce qu’est un être humain. »

Mère créatrice

Tout est lié. Le cordon ombilical est multiple. Nourrissant à la fois la mère et les enfants. Son nouveau-né, Mercurial George, est arrivé à terme hier au FTA. Même si l'artiste y travaillait encore d'arrache-pied il y a deux semaines. 

« C'est comme si j'avais fait exploser un édifice. Je me promène parmi les débris et je m'empare de certaines choses. Il y a beaucoup de sons et d'objets, mais je crois que je vais élaguer. Je me sens un peu comme un zombie avec ce spectacle. »

Son mentor en danse, Peter James, lui apprend donc le lâcher-prise. Son fils, qui apparaît aux crédits de la production, la reconnecte aussi à la terre. 

« Avoir un enfant me ramène à la base, aux fonctionnements primaires de ce qu'est un être humain. Ça ne sert à rien de perdre patience. Mon fils me dit toujours : "Maman, une chose à la fois." »

Le George de Mercurial George est un petit singe en peluche que Dana n'aimait pas du tout, enfant.

« J'avais une liste de peut-être 100 titres. Le premier était Je déteste les singes. C'était le nom du singe de ma soeur qui m'effrayait. Une autre inspiration est le butō et l'idée que le mouvement, le fait de continuer d'aller de l'avant est ce qui permet la croissance personnelle. »

Cette inspiration holistique n'a toutefois rien de nouvel âge pour autant. 

« La notion de flexibilité et d'ouverture m'intéresse beaucoup. La possibilité du changement qui est constante. Je navigue entre une position fixe et le mouvement perpétuel. J'ai besoin de savoir que tout est possible. »

Danse ou performance?

Son art émerge du même esprit. Danse minimaliste, théâtre physique, gestuelle visuelle... Dana Michel ne cherche pas à définir ce qu'elle fait exactement. 

« Savoir et ne pas partager ce savoir m'effraie. Comme ne pas évoluer, ne pas permettre aux possibles d'exister. Alors je préfère ne pas m'arrêter à réfléchir à ce que je fais, si c'est de la danse, de la performance ou de l'art visuel. Je suis influencée par beaucoup de choses, mais je préfère ne pas me définir. »

Mercurial George est tout de même un peu une suite de Yellow Towel, donc la thématique de l'identité sera importante ici aussi.

Il y a deux semaines, elle prévoyait moins de silence et plus de musique - chants, marmonnements - dans ce spectacle. Mais qui sait ? Une intuition ou obsession du moment pourrait lui faire changer d'avis.

« Même si Yellow Towel ressemblait à quelque chose de différent, il y avait plein de vieux trucs dedans. Là, je continue d'explorer ce "nouveau" territoire. Tout ce que je crée ressemble à un jeu de dominos. J'apprends à m'en servir. [...] Les collants jaunes de Yellow Towel avaient été utilisés dans cinq autres performances auparavant. Je suis la même personne, donc je crée avec les mêmes éléments. Je n'ai qu'à continuer à creuser au même endroit. »

À La Chapelle jusqu'au 5 juin

Notre critique

Dans sa nouvelle création, Dana Michel continue d'explorer la question de l'identité noire comme elle l'avait fait avec Yellow Towel (FTA 2013). Plus aboutie, Mercurial George nous entraîne dans l'univers saugrenu - et parfois assez comique - de la performeuse montréalaise, souvent décrite comme un électron libre, non sans raison.

Sur une scène jonchée d'objets hétéroclites - morceau de gingembre, micros, sacs de toile noirs, trompette, théière, pâte à pétrir... -, chantonnant ou marmonnant, elle manipule, tâtonne, déplace les divers artefacts, donnant lieu à des tableaux-sculptures éphémères aux formes inabouties.

Omniprésents, le noir et le blanc - Michel porte elle-même un collant blanc sur son corps noir dénudé - deviennent les symboles d'une identité floue, en dichotomie, qui se cherche des points de repère. Une impression décuplée par la gestuelle incertaine et instable de l'interprète, qui évoque à la fois le bambin qui apprend à maîtriser les membres de son corps et le vieillard tremblotant.

Une artiste intrigante et marginale qu'il sera intéressant de suivre à l'avenir.

-Avec Iris Gagnon-Paradis, La Presse