Après une tournée entamée il y a un an à Mons, en Belgique, voici qu'arrive au FTA L'autre hiver du duo Denis Marleau-Stéphanie Jasmin. Un théâtre musical au sujet des poètes maudits Verlaine et Rimbaud.

C'est un grand bateau qu'ils ont monté ensemble. Denis Marleau et Stéphanie Jasmin sont des timoniers expérimentés en théâtre de pointe, mais L'autre hiver tenait plus du paquebot que du voilier. Un projet limite.

« C'est un bateau incroyable, décrit Denis Marleau. Cela a été un grand voyage. Le résultat est un objet de beauté étrange. »

Le chantier maritime a duré deux ans avant que le navire ne soit mis à l'eau. Pour la conception du bateau, le metteur en scène a fait appel à un ami « armateur ».

« On a pensé spontanément à Normand Chaurette. Il est amateur de musique et aime l'opéra. La thématique des deux enfants terribles rejoint beaucoup de choses dans son oeuvre. »

Après le texte venaient la musique du compositeur Dominique Pauwels, l'enregistrement des choeurs, la vidéo... Un travail intense qui a exigé nombre de déplacements géographiques, artistiques, culturels.

« Personne ne peut faire ça tout seul, croit Denis Marleau. Même en Europe, il y a peu de structures spécialisées dans la création pour le théâtre musical ou l'opéra contemporain comme LOD - l'équipe de production notamment - à Gand. C'est la beauté de leur mission artistique. »

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

Stéphanie Jasmin et Denis Marleau ont travaillé pendant deux ans sur le théâtre musical L’autre hiver. Le résultat sera présenté dans le cadre du FTA.

« Le chef a dû concilier des prestations en direct avec des partitions enregistrées. De plus, tous les personnages virtuels ont été créés en répétition. Il y a eu des moments de vertige, même si on y est habitués. »

Travailler en pointe avec une grosse équipe pourrait vite devenir éreintant. « Mais ça nous empêche de répéter les mêmes formules, croit Stéphanie Jasmin. On est dans la redécouverte chaque fois. Nous avons besoin de ça comme créateurs. »

Après la première en Belgique, le bateau a vogué vers Lisbonne, Amiens, Lille et Montréal avant de prendre le cap du Luxembourg à l'automne.

« Je l'ai revu récemment à Amiens, dit Stéphanie Jasmin. Quand on voit apparaître cette bête scénique après un mois de répétitions, on essaie de trouver notre liberté à travers les contraintes. Mais là, je sens que tout est intégré. C'est devenu organique. Au départ, ça s'invente, après ça existe. »

Récit

Le récit de Normand Chaurette se passe donc sur un bateau immobilisé dans les glaces où Rimbaud et Verlaine - dont la relation homosexuelle avait fait scandale dans les années 1870 - s'affrontent. Dès le départ, le bateau a été choisi comme lieu du drame.

« Ça permettait d'avoir un huis clos. Rimbaud et Verlaine ont fait des traversées ensemble vers l'Angleterre. Le bateau représente aussi un entre-deux », résume Stéphanie Jasmin.

«  [Normand Chaurette] a une écriture unique qui convenait parfaitement au sujet, ajoute-t-elle. Ça prenait quelqu'un d'assez fort comme écrivain pour s'approprier ce sujet sans qu'on mette en musique les poèmes. »

Outre les poètes, on trouve dans cette croisière qui ne s'amuse pas des choeurs d'hommes, de femmes et d'enfants. 

« Verlaine se souvient d'un ami d'école brillant qu'il a trahi, explique Stéphanie Jasmin. Il est à la recherche de cet ami pour expier sa faute. À cette figure d'enfant brillant se substitue celle de Rimbaud et tous les rapports pervers qui existaient entre eux. »

Ambiguïtés

Comme souvent au sein d'une création Marleau-Jasmin, le climat est onirique, les situations ambiguës, les personnages flous.

« Rimbaud et Verlaine sont joués par deux chanteuses, explique Denis Marleau. Il y a déjà un effet de distance. On est dans l'incertitude sexuelle et identitaire. Pour le compositeur, c'était plus intéressant d'avoir deux femmes également. »

Dans cette coproduction belgo-franco-québécoise, la vidéo joue aussi un rôle prépondérant. 

« Les personnages sont presque des silhouettes fragmentées, pas finies, décrit Stéphanie Jasmin. Comme dans les rêves. Ce ne sont pas des corps très concrets. Ils s'estompent. »

Comme un bateau ivre qui disparaît à l'horizon. 

À la salle Pierre-Mercure les 1er et 2 juin, 20 h

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Les ventriloques fascinent, amusent et font peur aussi parfois. Il y a dans la relation homme-marionnette un mystère évoquant la possession ou la perte de contrôle, le double, le dédoublement. C'est dans ce malaise à saveur de personnalités multiples que travaille avec brio la metteuse en scène Gisèle Vienne (à qui l'on doit Jerk, présentée à Montréal en 2010). Ce congrès de ventriloques est une réunion des artistes les plus bizarres du genre. À travers la relation qu'ils entretiennent avec leur marionnette, ils se dévoilent, tout à la fois cruels, cyniques, désespérés, marginaux, superficiels, violents... À moins que ce ne soit qu'un jeu. Qui dit vrai ? La marionnette ou son manipulateur ? Dans ce jeu frôlant le surréel, la mise en scène et les acteurs-ventriloques excellent à créer des climats névrotiques, inquiétants, drôles. Au total, une pièce fort originale et dérangeante sur la (dé)nature humaine.

The Ventriloquists Convention est présentée ce soir à 21 h à l'Usine C.

Photo Kurt-Van-der-Elst, fournie par le FTA

L’autre hiver de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin