Le corps est un espace exploratoire dans Data, solo créé et dansé par l'exceptionnel Manuel Roque, où l'intention du geste part de l'intérieur et traverse les muscles, tel un courant électrique. Un exercice à la fois contemplatif et poétique.

Data: une description basique d'une réalité, une observation factuelle, une donnée numérique. Mais aussi l'empreinte d'une identité, le noyau de l'être, sa mémoire. La forme et le fond, en quelque sorte.

Et ce sont ces deux faces d'une même réalité que Manuel Roque examine dans son solo Data.

D'un côté, il explore à l'aide de son corps différents états, décortiquant les mouvements intérieurs qui surgissent de ses entrailles avec une approche méthodique.

Du même souffle, il touche au poétique, en laissant s'exprimer par le geste le coeur de son identité créatrice, mais aussi, plus largement, de l'identité humaine.

La grande force de Data réside dans le talent d'interprète de Roque, tout simplement exceptionnel. Celui qui a entre autres dansé pour Marie Chouinard et Paul-André Fortier habite la scène avec un grand calme, complètement ouvert, le regard engagé. On sent presque le courant électrique partir de son centre pour s'étendre vers ses extrémités.

Il fait preuve à la fois d'une maîtrise hallucinante de ses muscles, sans jamais tomber dans la rigidité. Au contraire, ses gestes se construisent par accumulation de micromouvements subtils, à l'image des notes sur une partition musicale.

Ondulations, extrême fluidité et tonicité côtoient les dislocations, hyperextensions, déformations et laxité des articulations. C'est tout simplement fascinant à regarder.

Lenteur contemplative

Roque évolue sur une scène presque entièrement nue, à l'exception d'un gros roc en aluminium, qui occupe une partie de l'espace et qui s'oppose, par son caractère stoïque, aux mouvements organiques du danseur.

À ces deux pôles s'ajoute une dimension spirituelle grâce à la musique du Requiem de Fauré. Roque l'utilise sans tomber dans les clichés, la détournant même avec humour lors d'une séance de lip-sync.

L'interprète entraîne ainsi le spectateur dans un voyage kinesthésique, contemplatif et lent, sans lecture imposée. La pièce, divisée en quelques séquences distinctes, utilise du début à la fin le même modus operandi.

Le danseur entame chaque séquence immobile, pour se laisser habiter lentement par le mouvement, appuyant bien le fait que c'est d'une pulsion interne que ce dernier naît. Chaque segment, accompagné par un extrait du Requiem, connaît son point culminant avant de retourner lentement vers l'immobilité.

Ici, c'est la cage thoracique qui se gonfle à l'extrême avant de se vider de son air et de se creuser, amorçant une ondulation qui s'étendra à tout le haut du corps. Là, la bouche qui s'agrandit à n'en plus finir, emportant dans son élan la tête, puis le cou.

À un autre moment, c'est toute l'évolution humaine qui est condensée en quelques minutes, de la bête à quatre pattes qui regarde avec curiosité le rocher s'érigeant devant elle à l'homme gracile qui fend l'air comme un maître de kung-fu.

Malheureusement, en fin de parcours, alors que s'ouvraient grandes les portes des possibles, Data fait plutôt du surplace. La pièce devient très contemplative et l'attention se perd, comme si le fil qui relie Roque au spectateur devenait trop ténu et se rompait.

Cela dit, Data est une oeuvre riche et très poétique. Nul doute que ce jeune créateur a une voix chorégraphique unique, et il sera intéressant de suivre son évolution avec sa prochaine création, 4-OR, qui sera présentée à Tangente en décembre prochain.

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Au Prospero jusqu'à ce soir.