Le nouveau directeur du Théâtre national de Lisbonne, Tiago Rodrigues, nous présente une pièce sur la mémoire, inspirée d'une histoire très touchante qu'il a vécue avec sa grand-mère. La Presse lui a parlé de son exercice de pollinisation poétique qu'il a baptisé By Heart et qu'il promène depuis deux ans.

Voilà une histoire extraordinaire qui surclasse n'importe laquelle des fictions qu'on pourrait imaginer.

À l'âge de 93 ans, la grand-mère de Tiago Rodrigues apprend qu'elle va perdre progressivement la vue. Une bien triste nouvelle pour cette lectrice devant l'Éternel, qui, bien qu'ayant quitté l'école à l'âge de 10 ans, lisait «furieusement», précise le dramaturge de 38 ans au cours d'un entretien téléphonique.

Face à cette fatalité, elle a demandé à son petit-fils Tiago de lui choisir un livre qu'elle pourrait apprendre par coeur en prévision du jour où elle deviendrait aveugle. Pour continuer d'entendre les mots. Dès lors, Tiago Rodrigues s'est mis fébrilement à la recherche de ce livre.

«J'étais obsédé par cette idée d'apprendre par coeur, d'autant plus que mon travail de comédien consiste justement à apprendre des textes par coeur. Je me suis dit que c'était un bon sujet de pièce et qu'en relatant cette histoire, j'allais peut-être plus facilement trouver le livre qui conviendrait à ma grand-mère.»

Le dernier livre

Tiago Rodrigues a pensé aux auteurs romantiques portugais du XIXe siècle comme Camilo Castelo Branco, que sa grand-mère affectionnait, mais aussi à Balzac et Stendhal.

«Je me suis demandé: qu'est-ce qu'un dernier livre? Un livre définitif? Ma recherche devait correspondre à ses goûts, mais aussi à la circonstance.»

Le choix de Tiago est la matière première de sa pièce. Le dramaturge a jeté son dévolu sur un recueil de sonnets de Shakespeare. «La pièce est l'explication artistique de ce choix, indique-t-il. Il s'agit de courts poèmes qui traitent de différents thèmes comme l'amour, l'amitié, la trahison, mais aussi le pouvoir de la mémoire.»

Spectacle participatif

Pour donner vie à By Heart, Tiago Rodrigues choisit 10 spectateurs au hasard pour leur apprendre un de ces sonnets. Une façon de faire la preuve du pouvoir de la mémoire. «La mémoire de la parole artistique est un geste de résistance, dit-il. Dans le cas de ma grand-mère, contre la cécité, le vieillissement et la mort.»

Dans sa pièce Trois doigts sous le genou, l'auteur et metteur en scène faisait la lecture des rapports écrits par les censeurs du régime fasciste portugais. «Ce sont des rapports qui évoquent des textes censurés et que nous reprenons sur scène. Les anciens censeurs deviennent ainsi acteurs, donc c'est une douce vengeance.»

Ces exercices de mémorisation sont au coeur du travail de Tiago Rodrigues. «Je me rends compte parfois, en parlant, que je reformule ce qu'Ibsen ou Tchekhov a écrit. La façon dont je pense est le résultat de tout ce que j'ai appris par coeur comme comédien. Les mots nous appartiennent pour toujours.»

Pour les plus curieux, la grand-mère de Tiago Rodrigues vit encore. Elle a complètement perdu la vue et peine à se déplacer. «Sa mémoire flanche un peu, confie Tiago. À travers la lecture de ces sonnets, elle se rappelle qui je suis. Ma grand-mère n'a pas vu la pièce, mais je l'ai jouée dans le village où elle est née, à Moncorvo.»

Rendre visible l'effort d'apprendre par coeur, voilà qui émeut le dramaturge. «Le fait qu'au Québec, des centaines de gens connaîtront l'histoire de ma grand-mère me touche. Le fait qu'ils apprennent ce poème qu'elle a mémorisé, aussi. Au fond, c'est un poème qui est sauvé et qui vit dans le coeur des gens que je croise.»

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À la Cinquième Salle de la Place des Arts du 29 au 31 mai dans le cadre du Festival TransAmériques. Aussi au Périscope de Québec, du 25 au 27 mai, dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec.