Lire tout Antonin Artaud d'un souffle ou presque pendant six jours dès ce matin. C'est le pari que s'est lancé Christian Lapointe pour le FTA. Mais pour Artaud surtout, l'un des grands théoriciens du théâtre moderne, créateur du théâtre de la cruauté.

La tête

Christian Lapointe veut lire les 8517 pages qu'a écrites l'homme de théâtre et poète Antonin Artaud dans sa vie. Pendant 135 heures devant public. Une telle aventure ne se fait pas sans filet, sans une préparation qui implique autant le corps que l'esprit.

«Parmi les trois grands du théâtre, avec Stanislavski et Brecht, Artaud est le plus opaque. Tout le monde le connaît, mais peu l'ont lu. Le lire intégralement m'est apparu comme la chose la plus juste à faire pour que la forme s'approche du contenu. Je me suis dit que le théâtre de la cruauté allait finir par apparaître en lisant ses textes», dit-il.

L'oreille

C'est dans son livre Le théâtre et son double, écrit dans une langue tantôt poétique, tantôt philosophique, que l'on retrouve les théories d'Antonin Artaud, mort à 51 ans en 1948 après un internement en psychiatrie. Christian Lapointe, lui, se prépare à lire ses textes, entouré d'une petite équipe, dont un médecin.

«Artaud a écrit tous les jours de sa vie pour en arriver à 8000 pages, estime Christian Lapointe. Il a pris le temps de le faire; c'est bien que quelqu'un prenne le temps de le lire. Il y a un appel au primitif dans son travail et ça va apparaître. C'est le pari que je fais. Ses idées vont s'entendre quand le corps et l'esprit seront chauffés à blanc.»

Les yeux

Christian Lapointe a suivi un programme d'entraînement oculaire afin de se préparer à la lecture en continu. Il dit posséder de toute façon «une vision de pilote d'avion». Il pourrait battre un record Guinness s'il se rend au bout de l'exercice en s'autorisant des pauses de cinq minutes par heure pouvant être cumulées et permettre un sommeil de deux heures par jour.

«Le record Guinness est accessoire. J'ai déjà visualisé toute la douleur, mais là, je me suis mis à visualiser le plaisir que j'aurai à le faire. Évidemment, j'irai en enfer. Peut-être que je vais m'effondrer après 24 heures. Ça fait partie de l'aventure. Comme artiste, je suis toujours en train de faire quelque chose que je ne sais pas faire. C'est ça, le plaisir. Le ratage est possible, mais je le risque à chaque fois.»

La bouche

L'artiste prend des produits naturels pour la voix, dont une décoction du nom de Vocalix. Il ne boit presque plus d'alcool depuis des mois. Tout ce qu'il ingérera pendant cinq jours sera liquide: des jus de légumes et de fruits avec des protéines en poudre. Il sera également sous soluté après le premier jour.

«Je ne perds pas la voix facilement, j'ai beaucoup de salive... et c'est un rituel de fin de jeunesse pour moi. J'ai 37 ans. Dans 10 ans, je ne pourrai pas faire ça. On est dans un monde où l'on évacue les rituels. Pour moi, c'est important. Je ne ferai pas dans la litanie, mais, la nuit, quand il y aura deux spectateurs, je tomberai peut-être dans un autre mode.»

Le corps

Sur scène, il y aura deux stations de lecture: une assise, une debout. Un réfrigérateur, une pharmacie. Et un corps de comédien qui se donnera totalement.

«Ce que l'acteur joue au théâtre reste dans son corps. Cette aventure du relayeur de mots est physique. Quand je joue à l'interprète, je m'y investis corps et âme, alors ça restera dans mon corps. Je veux m'imprégner d'Artaud. Mais je crains qu'après trois jours, ce ne soit plus moi qui sois là. C'est mon corps qui va se mettre à agir. Le plus effrayant, avec cette destination inconnue, ce serait d'entrer dans un moment de détresse psychologique. J'ai peur qu'il m'en reste des traces indélébiles. La santé mentale, c'est fragile, mais je suis bien équipé pour y arriver.»

Au théâtre La Chapelle du 23 mai, 7h, au 28 mai, 22h. Les spectateurs pourront suivre l'avancement de la lecture sur le site web du FTA et au quartier général du festival sur écran en direct. Coût d'entrée: des fleurs. Il est aussi possible de faire des dons qui seront versés à la Fondation pour l'alphabétisation.