Elle avait soufflé le public du FTA en 2012 avec son interprétation de Prince dans (M)imosa. La Capverdienne qui a établi ses quartiers à Lisbonne Marlene Monteiro Freitas est de retour avec une pièce de son cru, Paraíso - Collecção Privada, où elle orchestre son propre paradis carnavalesque  -  que cela vous plaise ou non!

Peuplé de personnages surréalistes et hybrides, anges déchus ou démons en rédemption, Paradis - Collection privée (en français) offre une vision bien saugrenue du paradis. Un paradis inventé de toutes pièces par Marlene Monteiro Freitas, où le carnavalesque débridé a tous les droits.

La chorégraphe, en véritable chef d'orchestre, mène quatre interprètes, croisement d'homme et d'animal lui obéissant au doigt et à l'oeil, dans un spectacle très éclaté qui semble parfois sans queue ni tête - et c'est probablement exactement ce sentiment confus qu'elle cherche à créer chez le spectateur, qui est laissé à lui-même devant ce tableau aux accents à la fois cauchemardesques et burlesques, inspiré notamment des esthétiques de Francis Bacon et du Jardin des délices de Jérôme Bosch.

Quelques passages marquent plus que d'autres, dont la scène d'introduction, qui s'ouvre sur trois créatures échevelées couchées côte à côte, le bassin animé de soubresauts électriques, hybrides d'instrument de musique et d'hommes-serpents, alors les mains gantées de vert d'un quatrième interprète s'animent comme des bêtes autonomes de son corps, aux mouvements saccadés et extraterrestres.

Mais ce passage, plutôt que de servir de porte d'entrée vers la pièce, ouvre sur une déconstruction et une fragmentation totale du propos, dans un long hiatus où s'insèrent parfois des moments fugaces d'une certaine immobilité - comme lorsque soudainement, vers la fin du spectacle, la représentation s'arrête net devant des spectateurs confus, qui croient qu'il est temps d'applaudir.

Performance expressive

Véritable dompteuse de ces créatures mâtinées et maîtresse d'un spectacle qu'elle mène du bout de doigts, arrêtant et relançant la trame sonore d'un geste de la main, Freitas y dirige les interprètes qui, tout comme elle, offrent une performance remarquable, ne reculant devant rien - pas même l'insertion d'objets divers dans leur bouche.

La gestuelle est très physique, hachurée et fragmentée, organique et mécanique, prenant parfois des allures de robot détraqué. Elle se métamorphose sans cesse, au son d'une trame sonore hétéroclite et psychotique qui mélange les genres.

Si on est certes fascinés par les interprètes - particulièrement Freitas, à l'expressivité hors du commun - Paraíso prend souvent des airs de pastiche avec ses expressions faciales exagérées et ses pitreries clownesques.

Oeuvre-capharnaüm ponctuée de passages surprenants, insolites, inquiétants et souvent drôles, Paradis - Collection privée confond et échappe à tout entendement. On finit tout de même par se demander à quoi peut bien rimer toute cette frénésie carnavalesque et grotesque. Le propos tourne en rond et se complaît dans cet univers qui sent l'autodérision.

L'intention réelle de Freitas, elle, demeure voilée de son mystère. Il ne reste plus au spectateur qu'à se faire sa propre idée de son paradis à lui en contemplant cet étrange cirque.

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Jusqu'au 6 juin à l'Agora de la danse.