Avec le NoShow, spectacle d'ouverture du festival TransAmériques (FTA), le metteur en scène Alexandre Fecteau lève le rideau sur la précarité des conditions des artisans du théâtre. Pour mieux conscientiser le public... et responsabiliser les artistes.

À l'ombre de la Maison symphonique et du Musée d'art contemporain, une troupe de jeunes comédiens campent sur un carré de pelouse de l'Esplanade de la Place des Arts, avant et après les représentations du NoShow. Le public est invité à aller les voir dans leur habitat temporaire, en prologue de leur création, avec de la musique, des hot-dogs et une bonne dose d'irrévérence.

«J'aime bien l'image d'artistes de théâtre en marge qui plantent leurs frêles tentes à côté de ces imposants symboles de l'industrie culturelle. C'est comme un mouvement Occupy Place des Arts!», dit en rigolant Alexandre Fecteau, animateur du collectif d'artistes Nous sommes ici et metteur en scène du NoShow présenté au FTA. Ce spectacle hybride, entre théâtre documentaire et art performatif, a été très bien accueilli lors de sa création, au printemps dernier, au Carrefour à Québec.

L'idée de ce «show audacieux et inusité» lui est venue il y a quatre ans, durant les répétitions d'une autre pièce de la compagnie. Alexandre Fecteau était incapable de réunir tous les acteurs pour répéter, tant ils étaient occupés ailleurs, avec des boulots alimentaires chez Simons ou dans des restaurants.

«J'ai réalisé la précarité du métier qu'on a choisi, mais qu'on persiste à pratiquer à l'aube de la trentaine. Comme si nous étions condamnés à être artistes», affirme-t-il.

Condamné? Le choix du mot surprend. Il fait penser à la chanson La vie d'artiste de Ferré, qui fait le bilan de la bohème, qui croyait, à 20 ans, pouvoir vivre de l'air du temps. Et réalise que cette fameuse fin du mois «revient sept fois par semaine».

«Oui, on parle de la dualité entre l'art et l'argent dans le NoShow, dit Fecteau. Mais on n'aborde pas seulement les questions financières. Il y a aussi la reconnaissance du public, la [faible] fréquentation des salles, les préjugés envers les artistes. On repense les modes de production du milieu, le rapport au public, entre autres.»

Au public de décider

Le spectateur sera déstabilisé dès son arrivée à la billetterie de la Place des Arts. On lui proposera de choisir le prix qu'il veut payer pour assister au spectacle (il a le choix entre six tarifs, qui vont de zéro à une centaine de dollars!). La troupe aura tôt fait de comptabiliser les recettes. S'il manque d'argent pour boucler le budget de production, on demandera au public de choisir la distribution à l'aide de son téléphone et d'éliminer des acteurs, comme dans une téléréalité! La distribution de base affiche huit interprètes, dont François Bernier, Hubert Lemire et Maxime Robin, également coauteurs de la pièce avec Fecteau.

Pour ne pas s'endormir au théâtre!

Alexandre Fecteau n'a pas le profil classique du jeune acteur qui touche à la mise en scène après des études au Conservatoire. Beauceron d'origine, il a plutôt étudié à l'Université du Québec à Chicoutimi en arts interdisciplinaires. Puis, il s'est installé à Québec pour se nourrir de théâtre. Au Périscope, à La Bordée, au Trident... Avant de réaliser qu'il n'aime pas le théâtre traditionnel. «Je suis un spectateur épouvantable, confie-t-il. J'ai besoin d'être constamment stimulé au théâtre; sinon, je m'endors! Parfois, j'ai l'impression que la télévision est plus créative que le théâtre. Tout le phénomène de la téléréalité est basé sur la volonté de briser la distance entre le public et les acteurs.»

Pourquoi alors faire du théâtre plutôt qu'utiliser un autre médium artistique plus moderne? Parce que le théâtre est un art ancien et exigeant, répond-il.

«Ce qui distingue le théâtre des autres disciplines, c'est l'ici et maintenant. La communion entre des artistes et des spectateurs dans un seul lieu, le temps d'une représentation. Nous nous devons d'exploiter cette richesse, d'ouvrir les portes à l'imprévu, aux réactions du public. Le théâtre ne doit pas seulement raconter une histoire ni être comme un film sans effets spéciaux.»

Le metteur en scène préconise un théâtre «performatif, événementiel et réinventé». Sa première création avec Nous sommes ici, L'étape, avait pour thème le covoiturage et l'amour à distance. Sa deuxième, Changing Room, proposait une incursion dans l'univers des travelos inspirée des reines de la nuit du bar gai Le Drague, à Québec. En 2013, Fecteau a signé la mise en scène de Rhinocéros d'Ionesco pour le Trident. Et le voilà en ouverture du FTA, en remplacement d'une pièce de Vancouver annulée il y a un mois (Helen Lawrence).

Alexandre Fecteau jubile autant qu'il est nerveux. Il a hâte de voir la réaction des politiciens et des administrateurs des C.A., invités à la première. Car aux yeux du metteur en scène, le théâtre dépasse ses artisans. Il n'appartient pas seulement aux comédiens, mais aussi aux spectateurs.

Le NoShow est finalement une «déclaration d'amour au public», une tentative de mieux l'intégrer à la représentation théâtrale. Pour la suite de cet art qui se réinvente en restant le même... depuis 2500 ans.

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Au Théâtre Jean-Duceppe, aujourd'hui, en ouverture du FTA. À la Cinquième Salle de la Place des Arts, les 3, 4 et 5 juin.