Par les temps qui courent, nombreuses sont les chorégraphies qui traitent de l'individu dans la masse, du besoin autant que du danger de la singularité, du désordre comme vecteur indispensable du renouveau, des mouvements de masse comme force de vie, mais aussi de destruction.

Avec sa nouvelle oeuvre Khaos, créée à Madrid en 2012 et applaudie à Paris (ce qui en fait une pièce mature), Ginette Laurin donne sa vision de cette thématique. Avec force sinon avec violence, certainement avec une intensité poignante comme un feu roulant.

Une création servie par neuf interprètes, cinq danseurs et quatre danseuses (dont la plupart dansent pour elle depuis longtemps), qui tissent à merveille une gestuelle calibrée au millimètre près, faite d'unissons qui se défont puis reviennent, de solos qui se détachent du groupe puis sont happés par celui-ci, de duos qui sont des luttes ou des rencontres, le tout dans une fulgurance exténuante dont la densité vibratoire tient le spectateur tout à la fois aux abois et en haleine, réveillé.

La pièce n'est pas narrative. Mais elle parle bien de notre monde poussé aux confins de lui-même, en danger collectivement autant qu'individuellement, mais en même temps bondé de désir de changement, de solidarité, de vie. Ginette Laurin parvient à transmettre subtilement ces contradictions, ces déséquilibres en quête de renouveau.

Dans une atmosphère embuée, sous les lumières de Martin Labrecque (lui aussi collaborateur de longue date) qui dessinent des espaces variables, des zones comme des lignes droites, envoient des éclairs ou dessinent des ombres au sol, dans le décor très original de Marlène Bastien - des pieux de bois dressés et inquiétants, mais géométriquement ordonnés sous une sculpture de bois accrochée au plafond - et la musique «pulsive» et énigmatique, Khaos déploie un désordre minutieusement ordonné, poignant et entraînant. Ce pourrait bien être la meilleure pièce de Ginette Laurin depuis plusieurs années.