Après Madrid et Paris, KHAOS est présentée cette semaine à Montréal. Avec cette création, la chorégraphe Ginette Laurin joue sur le déséquilibre pour illustrer un monde tumultueux qui se déshumanise peu à peu. À l'aube des 30 ans de sa compagnie, la directrice d'O Vertigo a répondu aux questions de La Presse.

Q Avec les Chouinard, Fortier, Lock et Léveillé, vous êtes une pionnière de la nouvelle danse au Québec. Comment peut-on qualifier le style et le langage chorégraphique de Ginette Laurin?

R Dans mon travail, je m'intéresse davantage à la façon dont un danseur passe d'un mouvement à l'autre qu'à la forme de la gestuelle. Ma danse s'attarde à l'énergie, au flux corporel. Je ne crée pas nécessairement des portés spectaculaires exigeant un dépassement physique. Je travaille plus dans l'interrelation entre les interprètes, avec le groupe, qu'avec des solos.

Q Vous accordez beaucoup d'importance au travail avec les concepteurs, qui (comme l'éclairagiste Martin Labrecque) vous sont plutôt fidèles...

R C'est souvent mon point de départ. J'aime connaître l'atmosphère, l'ambiance visuelle avant de commencer à travailler avec les danseurs. En travaillant en amont avec le scénographe et le compositeur, ça me permet d'établir les concepts et les thèmes avant la mise en espace.

Par contre, en ce qui concerne la musique, ça ressemble plus au cinéma: la trame sonore arrive à la fin. Je veux que les danseurs trouvent leur propre musicalité dans le mouvement, ensuite la musique viendra accompagner leur gestuelle.

Q Qu'est-ce qui vous a inspirée pour la création de KHAOS?

R Le climat social, économique et politique très tendu dans le monde. Depuis le Printemps arabe, ça ne cesse de s'aggraver. En parallèle à ces tensions et à ces crises, j'ai été frappée par l'extraordinaire capacité de mobilisation des médias sociaux. Il y aurait donc autant de force que de chaos parmi nous. Il y a aussi l'idée de déshumanisation de l'individu, la difficulté de rester intègre avec soi-même.

Q Comment un chorégraphe illustre-t-il une situation aussi complexe sans avoir recours aux mots? Seulement avec les gestes de neuf interprètes?

R Il se dégage de KHAOS une énergie du groupe qui démontre qu'être dans l'action demeure la meilleure façon de vivre. C'est bien sûr un langage plus proche de l'abstraction. Mais ça se lit très facilement pour le public. C'est un objet chorégraphique à la fois très dense et très tonique.

Q Votre compagnie, O Vertigo, a été fondée en 1984. En 30 ans, la troupe a pu compter sur des interprètes dotés d'une forte personnalité scénique (Chi Long, Mélanie Demers, Caroline Laurin-Beaucage). Vous avez aussi la réputation de les garder longtemps. Robert Meilleur danse entre autres avec O Vertigo depuis 20 ans! Quel est votre rapport avec les danseurs?

R J'aime bien avoir un noyau d'interprètes matures, des doyens, qui se mêlent aux jeunes. On pourrait penser le contraire... Mais les jeunes danseurs se blessent plus facilement parce qu'ils connaissent moins bien leur outil, alors que les plus âgés savent mieux prévoir les blessures.

La diversité corporelle est aussi très importante. Je ne veux pas compter seulement sur des athlètes avec la même physionomie. Je travaille avec des êtres humains qui ont chacun leur couleur, leur identité. Certes, ils doivent être bons techniquement. Or, à mes yeux, l'interprète est plus important que la technique.

Q Comment allez-vous souligner votre 30e anniversaire la saison prochaine?

R En 2014, la compagnie va créer un nouveau spectacle à Montréal qui sera annoncé plus tard. On va aussi présenter des performances dans des places publiques, dont l'Espace Georges-Émile-Lapalme de la Place des Arts. Il y aura aussi un film à partir de tous les personnages qui ont peuplé nos créations depuis 30 ans. Sans oublier les tournées, avec KHAOS, Onde de choc et Les petites formes.

KHAOS d'O Vertigo. Les 4 et 5 juin à l'Usine C, dans le cadre du FTA.