Le fait divers a fait le tour du monde: en 2008, Josef Fritzl a été arrêté pour avoir séquestré sa propre fille pendant 24 ans et pour lui avoir fait 7 enfants. Markus Öhrn, plasticien et metteur en scène, remonte aux racines de cette histoire d'horreur dans un spectacle intitulé - ce n'est pas de l'ironie - Conte d'amour. Âmes sensibles s'abstenir.

Il faut être culotté pour coiffer un spectacle inspiré par un cas extrême d'inceste d'un titre aussi romantique que Conte d'amour. Markus Öhrn, qui partage son temps entre Berlin et son village natal du nord de la Suède, en est parfaitement conscient. Il est d'ailleurs tentant d'y voir une forme de provocation.

«On peut interpréter les choses de cette façon», convient le plasticien, vidéaste et metteur en scène. Il s'en défend toutefois calmement... et fermement. «Mon travail est basé sur la critique de la famille nucléaire, du patriarcat et des structures de pouvoir», explique-t-il, précisant au passage que même cette Suède qui se croit égalitaire et féministe est une société patriarcale.

Markus Öhrn a déjà écorché la famille dans une satire de téléroman américain Dallas (Best of Dallas). Ce qui l'a mené sur la piste de Fritzl tient en partie du hasard: l'homme a été condamné en 2009 et a refait surface dans les médias au moment où le collectif finlandais Nya Rampen l'a invité à mettre en scène sa prochaine création. «Le monde le qualifiait de monstre et je me suis demandé s'il en était un et s'il était un produit de notre société», explique le metteur en scène.

Sa réflexion a été nourrie par l'essai Against Love, de Rainer Just, qui présentait le cas de Wolfgang Prikopill (le ravisseur de Natascha Kampusch) comme un «acte d'amour». La thèse de Rainer Just est que tout dans la culture occidentale incite à mêler amour et désir de possession de l'autre. «On est tous programmés à vouloir posséder l'autre, résume-t-il, en faisant notamment référence au cinéma et à la musique populaire. Prikopill et Fritzl sont évidemment allés trop loin.»

Miroir monstrueux

«On doit se questionner et non pas seulement dire que Fritzl est un monstre sans réfléchir plus avant à ce qui l'a poussé à agir de la sorte», répète Markus Öhrn. D'où ce spectacle, qui ne porte finalement pas précisément sur le cas Fritzl, mais qui veut tendre un miroir déformant à nos structures familiales et nos façons d'aimer. «On ne cherche d'aucune façon à représenter les événements qui se sont déroulés dans cette cache, assure-t-il. Ce serait terrible.»

Pour aspirer les spectateurs dans ce spectacle immersif de plus de trois heures qu'il qualifie «d'expérience», il a conçu un dispositif scénique qui place l'auditoire à distance de l'action, dans une position de voyeur. L'aire de jeu est divisée en deux espaces (la maison et le bunker souterrain), et l'action passe beaucoup par l'oeil d'une caméra et des écrans. Un procédé qui met à distance et rapproche à la fois de l'action.

Pourquoi partir de l'histoire de Fritzl si, au bout du compte, c'est d'amour possessif qu'il veut parler? «Parce que tout le monde connaît cette histoire, répond Markus Öhrn. Ça crée une situation dense, très normale, mais où tout est filtré par ce qu'on sait de ce terrible incident.»

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Jusqu'au 30 mai, 19h, au Théâtre Rouge du Conservatoire d'art dramatique.