Il signe la mise en scène de deux pièces et pas de n'importe qui - Duras et Handke - au FTA. À 34 ans, Christian Lapointe revendique le droit de faire un théâtre singulier et personnel pour mieux secouer la maison du théâtre.

La première chose qu'on remarque, lorsqu'on rencontre Christian Lapointe pour la première fois, c'est son intensité. Des collègues l'ont déjà qualifié de «météorite en flammes»; de «lave en fusion»; de «corps en implosion»... Son langage corporel n'a rien de zen, en effet. Tout comme son parcours.

Depuis 12 ans, avec sa compagnie le Théâtre Péril à Québec, le jeune metteur en scène (prix John-Hirsch du Conseil des Arts en 2010) s'abreuve aux poètes symbolistes (Yeats), aux penseurs situationnistes (Guy Debord) ou au mouvement britannique in-yer-face theatre (Sarah Kane, Mark Ravenhill). Pas de la petite bière.

Artiste multidisciplinaire qui analyse et réfléchit au lieu de passer d'une commande à l'autre, Lapointe estime être perçu comme «trop performatif par les gens de la fiction»; et «trop proche de la fiction par les gens de la performance». La quadrature du cercle, quoi!

Chez Guy Debord, auteur de La société du spectacle, Lapointe explore «cette dimension sacrée, qui est de l'ordre du rituel, mais aussi de l'ordre du manège, du revirement, du bousculement».

«Le spectacle est le soleil qui ne se couche jamais sur l'empire de la passivité moderne», a écrit Debord dans son essai à saveur marxiste. Lapointe a un penchant pour une dramaturgie qui interpelle et incite au dépassement de l'art.

Un contremaître des planches

Christian Lapointe est donc un intellectuel. Il parle d'objets plutôt que de pièces, de matière littéraire plutôt que de textes, de théâtre réflexif, etc. Des trucs conceptuels qui sonnent abstraitement aux oreilles d'un critique qui en a entendu bien d'autres... «Je choisis mes projets en continuité avec la pensée qui m'habite, dit-il, voyant notre air sceptique. Mais je ne me positionne pas en artiste radical ou marginal.»

«Je suis le fils d'un entrepreneur en construction, poursuit-il. Et j'ai l'impression de faire le même métier que mon père: un contremaître qui construit des maisons... Mais des maisons éphémères qui s'effondrent. Au lieu de travailler avec un plâtrier, un menuisier ou un électricien, je travaille avec un éclairagiste, un scénographe et des acteurs. Je revendique le droit d'être à la fois un gars de shop et un intellectuel.»

L'apprentissage de Duras

Dans le cadre du FTA, le «gars de shop» s'attaque à deux monuments de la littérature européenne du XXe siècle: Marguerite Duras et Peter Handke. De Duras, avec qui Christian Lapointe avoue entretenir un rapport ambigu, il signe la mise en scène de L'homme atlantique (et La maladie de la mort). Avec Jean Alibert, AnneMarie Cadieux et Marie-Thérèse Fortin. Ce spectacle de Lapointe fera aussi partie de la programmation officielle du 30e festival des francophonies en Limousin, en France, du 26 septembre au 5 octobre.

«Aborder l'écriture de Duras dans mon parcours est un passage un peu étrange. La matière de base est dense, je ne peux pas la réduire, mais j'essaie de la rendre plus concrète pour en faire ressortir tout le poétique.»

Car Duras a aussi ses détracteurs: hermétisme, ennui, affectation sont parmi les mots qui reviennent souvent à propos de l'oeuvre de l'auteure de Détruire dit-elle. «On m'affuble aussi de ces choses-là! rétorque Lapointe en riant. Je prends des objets dont la pensée qui les anime est complexe. Or, je fais tout ce qui est possible pour traduire et transmettre cette pensée au public. Pour moi, c'est l'inverse de l'hermétisme. L'hermétisme, c'est ne pas vouloir être compris.»

Son autre ouvrage au FTA? Une recréation d'Outrage au public, la célèbre pièce de Peter Handke, qui date de 1966, dans laquelle une troupe de comédiens va remettre en question le concept même de la représentation, pour finir par insulter les spectateurs dans la salle. Pourquoi va-t-on encore au théâtre aujourd'hui? s'interrogeait Handke peu avant mai 68. Lapointe a présenté sa nouvelle mouture d'Outrage au public à Québec, en janvier dernier. Le créateur en a fait «un drôle d'objet plus proche de l'art conceptuel» dans lequel il a remplacé les interprètes par des voix de synthèse par ordinateur. Le public du Théâtre La Chapelle se retrouvera donc assis devant un écran sur lequel il se verra filmé en direct, à écouter la bande sonore d'un texte... Réflexif, en effet.

Le programme double de Lapointe au FTA démontre, finalement, que la création, c'est l'acte de créer.

Tout le reste est littérature.

L'homme atlantique (et La maladie de la mort). Les 31 mai, 1er et 2 juin au FTA. Les 7 et 8 juin au Carrefour de théâtre de Québec.

Outrage au public. Du 3 au 7 juin au FTA.