Au FTA, mercredi soir, le spectacle d'ouverture du metteur en scène allemand Thomas Ostermeier a rattrapé l'actualité municipale montréalaise. L'intrigue d'Un ennemi du peuple repose sur un scandale d'eau contaminée qui menace la santé des citoyens!

À la sortie d'Un ennemi du peuple au Théâtre Jean-Duceppe, bien des spectateurs croyaient que le texte d'Ibsen avait été écrit récemment. Or, il a été créé... il y a 130 ans en Norvège. Si Ibsen n'est pas notre contemporain, son propos sur la corruption, le manque de transparence et d'intégrité des élus, est bel et bien actuel.

Dans sa relecture, Thomas Ostermeier critique vertement le pouvoir économique de la petite bourgeoisie qui dicte les règles et comportements de la société civile.

Il met en scène un monde branché (comme pour son Hedda Gabler au Centre national des arts, en 2009, on est en présence de jeunes acteurs, des bobos habillés à la mode; qui vivent dans des lofts, font de la musique et écoutent du David Bowie).

Le spectacle (qui dure deux heures trente, sans entracte) met un peu de temps à prendre son envol. Et la lecture des surtitres est parfois fastidieuse. Mais la qualité d'interprétation et quelques trouvailles de mise en scène transforment cette pièce classique en un objet théâtral fort percutant.

Le prix du peuple

On a tous son prix dans la vie, disent les cyniques. Le docteur Stockmann, lui, ne semble pas achetable. Lorsqu'il découvre que les eaux de la station thermale sont contaminées, il veut alerter les autorités et prévenir la population en publiant son rapport scientifique. Ça tombe bien: son frère est maire de la municipalité et deux de ses amis travaillent au journal local.

Or, il va frapper un mur. Celui immuable du pouvoir; plutôt des pouvoirs (politique, juridique, économique et médiatique). On va alors tenter de le faire taire. De héros qui lutte pour la vérité, Stockmann deviendra un ennemi du peuple.

L'eau est donc est une métaphore pour illustrer à quel point toute la société civile est contaminée par l'économie de marché. Que les individus s'illusionnent en croyant que le pouvoir d'achat ou la consommation nous rend heureux. «Ce qu'il faut de prothèses pour bien faire tenir un «Moi» dysfonctionnel et dépressif, se fissurant de tout part (dans le couple, la famille, la vie sociale, etc.)», dira le protagoniste lors de son discours devant une assemblée de citoyens.

«Ce n'est pas l'économie qui est en crise: l'économie est la crise», lancera encore le protagoniste sous les applaudissements nourris du public. Celui dans la salle. Car dans la pièce, son discours tournera au vinaigre et à l'émeute!

Stockmann ira même jusqu'à remettre en question la démocratie libérale (qui représente «une majorité d'imbéciles») et la liberté d'expression (qui favorise ceux qui détiennent le pouvoir économique). Ironiquement, vers la fin, quand les acteurs donneront la parole au public pour avoir leur avis, le message anarchique de Stockmann fera consensus dans la salle. Et le point de vue des petits bourgeois (le maire, l'éditeur) sera mis au pilori.

La conscience de nos élites, au théâtre comme ailleurs, se remet rarement en question.

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Les 23 et 24 mai au Théâtre Jean-Duceppe ; le 27 mai au Grand Théâtre de Québec. (En allemand avec surtitres français et anglais.)