La vie de Claude Dubois n'a jamais été un long fleuve tranquille. Mais depuis un an, c'est encore moins le cas. En mars 2016, il a appris que la fatigue qui le plombait périodiquement n'était pas que de l'anémie, mais un cancer de la moelle osseuse. Le diagnostic était accompagné d'une date d'échéance un brin terrifiante: deux ans à vivre, lui ont dit les médecins. Sonné, Claude Dubois a encaissé le coup en se soumettant immédiatement à un traitement de chimio des plus costauds et sans souffler mot de son état aux médias.

«Sauf que dans mon village, dans le Nord, les nouvelles vont vite. Quand j'allais à l'épicerie, les gens me regardaient différemment et me demandaient comment allait ma santé d'un drôle d'air. J'ai compris que si je ne faisais pas une sortie publique, tôt ou tard la nouvelle de ma maladie allait se répandre en laissant la place à toutes sortes de rumeurs. Alors j'ai décidé d'aller à Tout le monde en parle pour régler la question une fois pour toutes», raconte Dubois, que je retrouve en pleine forme à 24 heures de son spectacle aux FrancoFolies.

Il a le teint légèrement hâlé et mange avec appétit son poulet grillé, arrosé non pas d'eau du robinet qu'il jure de ne plus boire, mais d'eau embouteillée. Les choses se sont stabilisées depuis son diagnostic du printemps 2016. Terminées, les séances de chimio toutes les trois semaines. Maintenant, c'est tous les deux mois. Quant à l'échéance de deux ans, elle ne tient plus. Claude Dubois ne vivra pas éternellement, mais il vivra sans doute beaucoup plus longtemps que ce que les médecins avaient prédit au début.

Pas de victimisation

Reste qu'en me glissant sur la banquette du resto à ses côtés, ce qui me frappe, c'est son attitude: joyeuse, sarcastique, dédramatisée, à des années-lumière de la victimisation qui accompagne souvent l'aveu public d'un cancer.

Vous n'entendrez jamais Claude Dubois dire qu'il livre le combat de sa vie ni se plaindre du triste sort qui s'est acharné sur lui. D'ailleurs, s'il y a une question qu'il ne s'est pas posée quand il a appris qu'il avait un cancer, c'est: pourquoi moi?

«Tu sais pourquoi?», me demande-t-il avec un sourire moqueur. Avant que j'aie le temps de répondre, il mime la voix de Dieu et de son pouce, fait semblant d'écraser un homme de la taille d'une fourmi en lançant: «Pourquoi toi? Pour t'apprendre à vivre, mon estie!» Puis, il éclate d'un immense rire, confirmant que si Dieu existe, Claude Dubois ne lui a jamais demandé, et ne lui demandera jamais, pourquoi lui et pas un autre.

«Il faut savoir rire de soi et considérer qu'on a été un imbécile si on veut recommencer à construire un monde meilleur, d'abord pour soi, philosophe-t-il. Moi, je ne me suis jamais trop pris au sérieux. Les gens ont pris ça pour du je-m'en-foutisme. Ils pensaient que je me crissais de tout sans voir qu'au fond, c'était une façade et une sorte de carapace pour cacher une sensibilité extrême. Cela dit, la mort ne me fait pas peur.»

«La mort est une salope que je méprise depuis toujours. Reste que si ce que je vis en ce moment m'était arrivé il y a 15 ans, je serais mort. La science a évolué et, dans un sens, elle m'a sauvé.»

Dubois n'a pas peur de la mort, c'est vrai. Mais il a peur de ce qu'il adviendra de ses deux plus jeunes enfants de 6 et 9 ans même s'ils ont une mère dont il est séparé depuis quelques années. Ce qui l'inquiète, c'est l'héritage qu'il leur laissera: ses terres, sa maison, ses biens, mais aussi le catalogue complet des centaines de chansons qu'il a écrites. Contrairement à bien des artistes québécois, Dubois n'a jamais vendu ses éditions. Il en demeure l'unique propriétaire pour l'Amérique du Nord. Ce qu'il souhaite, c'est que ses enfants - les deux petits et les deux plus grands qu'il a eus dans les années 70 - soient ses uniques héritiers, ce qui, à l'entendre, ne semble pas garanti.

Dubois veut rester en vie pour ses enfants, mais il n'y a pas si longtemps, c'était pour une autre personne qu'il tenait à la vie: sa mère. «Je me disais que je ne pouvais pas partir avant ma mère, ça lui ferait trop mal, mais c'est elle qui est partie. Je l'ai perdue en décembre. On dirait que ça me rejoint plus ça que mon cancer», laisse-t-il tomber.

Subitement, Dubois cesse de fanfaronner, l'émotion à fleur de peau, comme si la peine qu'il se refusait à lui-même se déverse à travers le souvenir de sa mère.

Bien sur scène

À 70 ans, Dubois a plus d'un demi-siècle de scène dans le corps. Je lui demande s'il aimerait faire de la scène aussi longtemps qu'Aznavour ou que Maurice Chevalier. «J'ai le plus grand respect pour Chevalier. Il a chanté jusqu'à la fin. Pas pour l'argent. Il en avait plein. Il l'a fait par amour, avec dans le regard l'étincelle du bonheur absolu. La scène, c'était sa dope.»

Est-ce que la scène est aussi la dope de Claude Dubois? «Ça ne l'était pas avant. J'ai beaucoup voyagé et cherché à exister en dehors de la scène, mais elle le devient un peu plus aujourd'hui dans la mesure où, vu mon état actuel, je peux difficilement prendre un voilier et crisser mon camp comme je le faisais avant. Me retrouver sur scène devant un public, c'est un peu tout ce qui me reste et, étrangement, ce n'est pas un effort ni une montagne. Sur scène, je me sens bien, à l'écoute de mes musiciens. En ce moment avec le show Dubois en liberté que j'ai rodé au Casino et un peu partout, je ne me sens pas coincé dans un carcan ou un concept. Et puis de savoir le public là, ça ne guérit rien, mais ça réconforte. Y'en a qui disent un jour à la fois. Moi, c'est une toune à la fois.»

En plus de la scène, Dubois a profité de la dernière année pour revisiter deux anciens CD: Mellow Reggae, le premier disque reggae en français (avant Serge Gainsbourg) qu'il avait enregistré en 1976 à Londres avec des musiciens jamaïcains et Gelsomina, le CD de sa période avec Louise Marleau, inspiré par l'univers de Fellini. Dans son studio aménagé à même sa maison des Laurentides et à partir de bandes maîtresses qu'il possédait toujours, il a réarrangé et remixé les deux CD qui portent maintenant deux titres différents: Mes racines, un titre pour le moins ironique pour le CD reggae, et Zampano.

«Ça faisait des années que je me promettais de retravailler ces deux CD; maintenant que c'est fait et que le chemin est libre, je peux commencer à penser à du nouveau matériel. Je n'ai aucune idée de ce à quoi ça va ressembler, mais je sais que ce qui m'arrive en ce moment va déteindre sur mes textes et y jeter une nouvelle lumière.»

Claude Dubois ne sait pas ce que l'avenir lui réserve, mais ce n'est rien de nouveau. Il a toujours vécu un peu au jour le jour, au petit bonheur la chance, en suivant le vent et son instinct du moment. Aujourd'hui, une lumière inattendue éclaire sa vie et il est le premier à préciser d'un air moqueur que cette lumière n'est pas celle d'un train qui fonce sur lui.

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Dubois en liberté, au Théâtre Maisonneuve, ce soir, 20 h.