La voix magnifique d'Emel Mathlouthi fut associée de près à la révolution tunisienne ainsi qu'au Printemps arabe, mais cette réputation acquise de pasionaria ne l'avait aucunement rassasiée. Férue de musiques contemporaines électroniques ou instrumentales, cette artiste engagée a entrepris d'y plonger son chant et son patrimoine.

Aux Francos de Montréal, elle propose ainsi une contribution substantielle à la world 2.0.

Citoyenne du monde se revendiquant du métissage culturel arabo-berbère, elle a vécu en France pour s'établir ensuite à New York où elle vit avec son compagnon et leur petite fille. Un nouvel album naîtra aussi de cette migration récente, son deuxième depuis la parution en 2012 de l'opus Kelmti Horra (Ma parole est libre).

À l'époque, on trouvait intéressante cette rencontre entre trip hop, pop de création et musiques maghrébines. Selon les dires de la principale intéressée, ce n'était qu'un début.

«Déjà en 2013, soit un an avant la fin d'un long cycle de tournées liées au premier album, j'avais fait une résidence dans les Cévennes. J'avais commencé à enregistrer des maquettes acoustiques puis des combinaisons électroniques», explique-t-elle depuis son domicile de Harlem.

Au terme de cette résidence dans la campagne française, Emel Mathlouthi a décidé de produire elle-même son prochain album.

«Progressivement, je me suis assumée, j'ai accepté l'idée que j'avais le potentiel pour produire cet album, en organiser et en diriger le travail. Je me sentais à l'aise de surfer sur plusieurs collaborations, ayant conclu que mon réalisateur idéal n'existait pas. J'ai d'abord travaillé avec des producteurs électroniques, ce qui s'est avéré compliqué, car la voix devait rester au centre de l'affaire. J'avais finalement rempli un cahier plein de brouillons... Je suis allée ensuite en Suède chez un producteur avant de me rendre chez l'Islandais Valgeir Sigurðsson, cofondateur du label Bedroom Community.»

Son «cahier de brouillons» s'était encore épaissi jusqu'à ce qu'elle recroise un ami tunisien: Amine Metani.

«Comme moi, il vient à la fois du rock, de l'électro et de la musique nord-africaine. Il est venu à New York, il a apporté des instruments traditionnels et quelques enregistrements de percussions. On a ouvert la valise de mes collaborations, on a défriché, trié, organisé tout ça.»

Après quoi la chanteuse est retournée une semaine en Islande afin d'y enregistrer des voix, des claviers et synthétiseurs. Ce nouveau travail, croit-elle, est plus dégagé de sa palette d'influences originelles - de Björk à Massive Attack.

«Tout est organique. Avec les traitements électroniques subséquents, ça donne des textures très étonnantes pour l'oreille occidentale, mais en même temps très modernes.»

Intitulé Ensen, ce deuxième album d'Emel Mathlouthi sortira l'hiver prochain sous étiquette Partisan Records - associée au Knitting Factory de New York. Nous en aurons un avant-goût au Club Soda.

«Je suis heureuse d'avoir relevé ce défi en coordonnant la réalisation et le financement participatif, tient-elle à souligner. Il est très difficile de faire accepter qu'une femme tunisienne puisse produire elle-même ce type de musique. On trouve génial que les Occidentaux intègrent des éléments africains dans leurs musiques, on ne comprend pas comment une Africaine peut parvenir à intégrer de l'électro dans les siennes.»

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Au Club Soda, ce soir à 19 h.