Apatride d'origine libanaise, Parisienne d'adoption, citoyenne du monde. Talent plus que certain, beauté fracassante. Fière de la culture arabe dont elle est issue et dont elle déconstruit librement les codes.

Au-delà de la world 2.0, Yasmine Hamdan s'est fait connaître grâce au tout récent film de Jim Jarmusch, Only Lovers Left Alive. En arabe dialectal, la chanteuse y interprète Hal, qu'on peut aussi entendre sur son album Ya Nass (étiquette Crammed).

Le stimulant cinématographique fut mis en branle à la suite d'une rencontre de Yasmine Hamdan avec le cinéaste Jim Jarmusch à Marrakech. Le buzz s'annonce viral sur la Toile et... voilà que les astres s'alignent pour les francofous: voilà Yasmine Hamdan devant eux, en chair et en os, aujourd'hui et demain.

Comment, au fait, une chanteuse arabe en vient-elle au trip-hop, à l'électro et à la pop de création?

«Pour moi, c'est quand même compliqué, amorce-t-elle, sourire dans la voix lorsque jointe à Paris. Je suis la génération d'après-guerre [libanaise]. J'ai vécu un peu partout dans le monde avec ma famille qui fuyait les conflits armés. Mon père ingénieur a presque toujours résidé dans les pays du golfe Persique, alors que le reste de la famille a fait des allers-retours au Liban. Nous nous sommes installés en Grèce, dans les Émirats arabes unis, au Koweït, etc.»

Ainsi, Yasmine Hamdan a baigné dans une culture très diversifiée.

«Au Koweït, par exemple, on écoute la musique omanie, très différente de la musique moyen-orientale. La culture musicale koweïtienne, par ailleurs, est très proche de la musique irakienne. J'ai aussi grandi avec les bandes originales du cinéma égyptien, avec les musiques pop syrienne et libanaise, etc. Sur le plan linguistique, il m'est devenu tout à fait normal de passer d'un dialecte arabe à un autre. Malgré les racines communes, chacun de ces dialectes a ses caractéristiques propres, son rythme, ses expressions, ses images poétiques. Un artiste peut sculpter dans toute cette matière!»

Rester créatif

À la fin des années 90, la famille de Yasmine a posé ses valises à Beyrouth.

«J'ai commencé à faire de la musique dans ce contexte apocalyptique. La ville était à moitié détruite, mais j'étais ado, j'avais beaucoup d'envies et j'avais intégré ce que j'avais bien voulu intégrer partout où j'avais vécu. J'allais faire une musique qui me ressemblait, qui parlait de moi. Avec le groupe Soapkills, je me suis mise à chanter de l'arabe sur du trip-hop et de la musique électronique. À ma façon.

«J'ai cette liberté-là, même si ma source d'inspiration provient de la musique arabe, extrêmement riche et sophistiquée. Je n'ai pas du tout envie d'en perpétuer les traditions, mais j'en utilise, en détourne, en décontextualise les codes.»

Carrière solo

Après s'être installée pour de bon à Paris en 2005, Yasmine Hamdan a collaboré avec Mirwais (ex-Taxi Girl et réalisateur de Madonna), avec qui elle a mené le projet Y.A.S et enregistré Arabology. S'ensuivit une relation professionnelle avec CocoRosie, ce qui n'est pas rien.

Depuis, sa carrière solo a pris le dessus, en témoigne le très, très bon Ya Nass, réalisé par Marc Collin (Nouvelle Vague, etc.), album sorti dans une première version sans titre en 2012, puis remanié en 2013 avec de nouveaux éléments afin d'en faire mousser le rayonnement international.

Un album d'envies

«Dans Ya Nass, résume sa conceptrice, il n'y a pas de style particulier, pas de courant précis. Il n'y a que des envies. Je ne sais pas trop où j'en suis [rires], mais il y a des choses que je sais faire. Et j'ai appris à me faire confiance. Tout vient avec le travail, en fait. Aujourd'hui, je fais des musiques pour le cinéma, le théâtre, j'expérimente, je bosse tout le temps! C'est une passion, il faut du souffle.»

Yasmine Hamdan est une autre preuve éloquente et bien vivante qu'une portion congrue de la culture arabe ne manifeste aucun repli identitaire. Ne souffre d'aucune crispation. Ne vit aucun décalage historique avec l'Occident.

«On donne l'impression que le monde arabe n'est qu'un seul pays dans lequel les gens font la gueule, les femmes sont voilées et les hommes, barbus. Or, il n'y a pas de contradiction en soi entre culture arabe et modernité», explique-t-elle.

«Être arabe, pense notre interviewée, c'est 50 milliards de possibilités. C'est beaucoup plus diversifié et hétérogène qu'on ne le croit. Ce qu'on présente de nous dans les médias, ce sont des raccourcis qui ne sont par représentatifs de la réalité.»

«Cela dit, il est vrai qu'une forte proportion du monde arabe est assez rétrograde. Or, cette portion minoritaire est mise en avant dans les médias; c'est un peu comme si on lui faisait sa pub. Et c'est un peu comme ça que ces gens gagnent du terrain. Pendant ce temps, plein de jeunes Arabes font plein de choses intéressantes. Ils voyagent, ils ont accès à la culture mondiale via l'internet. Comme dans toutes les sociétés.»

Ce soir, 18h et 20h, scène Hydro-Québec. Demain, 21h, en première partie de Rachid Taha au Métropolis.