Sous le grand chapiteau du Printemps de Bourges, Keny Arkana monte sur scène après Alpha Blondy et juste avant Public Enemy. De grosses pointures, certes, pourtant les plus de 5000 spectateurs l'accueillent comme si elle était la tête d'affiche de cette soirée. Ils scandent Ke-ny! Ke-ny! et manifestent bruyamment quand elle les harangue, mais pour elle, ça ne semble pas suffisant. «Bourges, bande de mauvais joueurs! Y a personne qui s'est planqué», les gronde-t-elle gentiment après avoir chanté Planquez-vous.

Derrière Keny Arkana et ses musiciens se déploie sur une grande toile le slogan Rabia del Pueblo. Rabia comme dans La rage, la chanson qui l'a fait connaître d'un large public et qui est devenue la «bande-son» de rassemblements et de manifestations, en France et dans d'autres pays où l'indignation est en hausse et où les disques de Keny Arkana sont pourtant très mal distribués.

Quelques heures plus tôt, l'artiste de 30 ans n'est pas moins énergique, et rafraîchissante, devant la poignée de journalistes venus rencontrer celle qui boude les grands médias et se targue de n'avoir jamais fait de radio ni de télé. «Vous sentez pas insultés quand je dis médias, je parle vraiment des mass médias, des télés, des machins et trucs. Vous êtes des petits médias, pas des gros Babyloniens avec des grosses caméras», dit-elle dans un sourire moqueur.

Née dans la région parisienne, mais d'origine argentine, Keny Arkana (son nom d'artiste) a grandi à Marseille, vibrant creuset de la culture rap et hip-hop en France. Elle a écrit ses premières chansons à 12 ans, donné son premier concert à 15, et c'est alors qu'elle a compris qu'il y avait «plus d'adrénaline à faire des concerts qu'à faire des conneries».

Par la suite, elle a beaucoup voyagé avec son sac à dos et sympathisé avec les contestataires et les indignés de pays, comme la Grèce, durement touchés par la crise, mais également d'Amérique du Sud, où son message semble porter même si elle ne chante à peu près qu'en français.

«Ça fait huit ans que j'insiste pour aller au Québec, me dit-elle sur un ton convaincant. À l'époque de ma première mix-tape, je me rappelle qu'il y avait beaucoup plus de buzz là-bas, les gens avaient beaucoup plus compris mon délire chez vous qu'en France. Et puis tout le monde dans le rap français allait faire des concerts au Canada plein de fois et y a que moi qui n'y suis jamais allée. J'ai envie d'aller voir les gens et, sans même parler de musique, j'aimerais bien aller au nord, voir les aurores boréales, voir la grande nature.»

Pas une «dictatrice»

Elle cause d'harmonie avec la planète, de construction horizontale et se défend d'être une «dictatrice» donneuse de leçons. Si elle ne cache pas son admiration pour le sous-commandant Marcos - «Nous amorçons la mondialisation de la rébellion», lancera-t-elle le soir même au public de Bourges -, elle se dissocie des partis et des étiquettes politiques, aussi bien altermondialiste que gauchiste.

«La résistance, c'est important, mais je crois que c'est d'autant plus important de construire derrière, sur du long terme. Même en France, il y a de plus en plus de jeunes qui vont prendre de la terre, qui vont construire leur village, qui ont envie d'être autonomes de A à Z, que ce soit au point de vue alimentaire, énergétique, médicinal, etc. En Amérique du Sud aussi.»

Elle applaudit les acteurs du printemps érable québécois, mais affirme que la jeunesse française est la moins politisée d'Europe et attribue son inertie à «l'américanisation grandissante de la pensée française».

Le rap français n'y est pas étranger non plus, croit celle qui cite NTM, Assassin et Street Connection parmi ses influences. «Même si mon public, en France, il déchire, j'ai l'impression que ma musique résonne mieux ailleurs. C'est vrai qu'en France, je me sens un peu seule sur la scène musicale, et pas que rap.»

Keny Arkana s'amène pour la première fois à Montréal mieux entourée que jamais d'un groupe de musiciens et de chanteurs apte à rendre sur scène les couleurs plus variées de son album Tout tourne autour du soleil, paru en décembre 2012.

A-t-elle toujours l'impression que la musique peut changer le monde?

«Oui et je veux apporter ma pierre, répond-elle. La musique est un art invisible qui modifie les émotions des gens, leur énergie, qui donne de la force. Quand j'étais plus jeune, ça m'a influencée, la musique. Heureusement qu'à l'époque, les rappers que j'écoutais avaient un peu de plomb dans le cerveau.»

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Keny Arkana, au Club Soda, ce soir, 19h.