Dans la salle de répétition de la Place des Arts, Éric Lapointe fait les cent pas en chantant N'importe quoi. Le rocker québécois ne peut pas aller très loin, coincé qu'il est entre les 6 membres de son band et les 70 musiciens de l'OSM. Devant lui, le chef Scott Price, grand complice de Lapointe dans cette aventure symphonique, dirige la section de cordes. Tout au fond de la salle, le batteur Rick Bourque, enfermé dans sa cage de verre, est séparé de Price par les vents, les contrebasses et les violons.

Pour goûter pleinement ce mariage du rock et du symphonique, il nous faudrait, comme Lapointe et ses musiciens, être munis d'écouteurs. Comme le spectacle va être enregistré en prévision d'un CD prévu à l'automne, il n'est pas question d'avoir des amplis de guitares sur scène. «J'ai essayé à maintes reprises, mais je n'aime pas vraiment les écouteurs dans un contexte de band, nous a dit Lapointe la semaine dernière lors d'une rencontre avec Scott Price. J'aime sentir la scène, les guitares. Mais je veux vivre ce moment-là et je vais m'adapter.»

Lors de cette deuxième répétition, hier après-midi, le résultat donnait vraiment le goût d'en entendre davantage. Les musiciens de l'OSM allaient et venaient dans les chansons de Lapointe comme s'ils les avaient toujours habitées. La finale orchestrale de Je t'ai laissé tomber ajoutait à l'émotion de la chanson et D'l'amour j'en veux pu, amorcée sur le mode voix-guitare acoustique, prenait de l'ampleur avec l'ajout du cor, de l'ensemble des vents et des cordes sans perdre un iota de son intensité rock. Prometteur.

«J'ai hâte comme ça ne se peut pas même si ça m'intimide évidemment, a avoué Lapointe vendredi dernier. Je suis extrêmement honoré que les musiciens de l'OSM acceptent de partager la scène et mes chansons avec moi. Ça fait longtemps que j'en rêve. J'ai toujours aimé les cordes - j'en ai 15 sur mon dernier album -, mais je n'ai jamais eu les moyens de me payer un orchestre aussi imposant même si j'ai déjà été accompagné d'une section de 16 cordes au Festival d'été de Québec. C'était grandiose.»

Lapointe et Scott Price ont attendu la confirmation officielle il y a quelques mois avant de reprendre le travail entrepris l'année dernière. «J'étais tellement fâché, avoue Lapointe. Le travail d'écriture des partitions était avancé, j'étais tout excité et je ne dormais plus quand on s'est fait couper à quelques semaines d'avis. On a mis ça sur la glace parce que je ne voulais pas me faire une fausse joie deux fois. Finalement, c'est peut-être une bonne chose, parce que j'ai ajouté un nouvel album depuis. Et après la naissance de mon fils, j'ai inclus dans le spectacle deux chansons: une inédite que je viens d'écrire avec Roger Tabra, Regarde bien, et Le météore, que j'ai enregistrée avec Dan Bigras il y a 10 ans et dans laquelle un père parle à son fils.»

Lapointe interprétera 23 chansons en deux heures de musique, scindées en deux parties. «Le plus difficile, ç'a été d'en éliminer parce qu'on voulait toutes les faire, dit-il. Je voulais quand même garder un caractère rock. Mais l'orchestre est là et on s'en sert.»

Une partition, quatre jours

Scott Price a consacré en moyenne quatre jours par chanson à écrire les partitions pour orchestre, et il en a confié certaines à Luc Gilbert et Anthony Rozankovic. «Certaines chansons sont très transformées, il y en a même deux où Éric chante uniquement avec l'orchestre, explique-t-il. Par moments, l'orchestre est vraiment en symbiose avec le band. Quand on ajoute trois trombones, un tuba et des cordes à une chanson d'Éric, c'est comme un gros «power chord». C'est tripant!»

Price fait tout de même remarquer qu'un tel mariage comporte des risques. «Mettons que le niveau de décibels du band d'Éric est un peu plus élevé que ce que l'OSM est habitué d'entendre. Mais je suis également là pour Éric, pas juste pour l'orchestre. Ce n'est pas facile d'être un chanteur dans un tel contexte.»

«On jouera majoritairement des ballades qui sont souvent les plus difficiles à chanter parce qu'elles comportent des nuances, qu'elles sont plus théâtrales et que la voix y est plus en évidence, explique Lapointe. Dans mes shows à moi, entre les ballades, il y a deux ou trois tounes où je peux crier. Mais il y aura aussi des tounes rock qui vont brasser et que le monde n'attendra pas.»

Lapointe ajoute que ses musiciens tripent comme des enfants, eux aussi, mais qu'ils l'ont envoyé promener quand il leur a demandé de porter un smoking.

Le chanteur leur donnera-t-il l'exemple?

«Moi, c'est ma mère qui me met de la pression. Mais il faut aussi que je me sente à l'aise...»

Éric Lapointe et l'OSM, à Wilfrid-Pelletier, demain soir.