Même s'ils en ont déjà des papillons dans le ventre, plusieurs artistes d'ici se produiront en solo aux prochaines FrancoFolies. Un choix qu'ils font par envie d'explorer des zones d'intimité et de liberté, mais qui a aussi des implications financières et strictement artistiques. Cinq auteurs-compositeurs-interprètes parlent de tout ce qui se trouve derrière l'apparent dépouillement.

Se produire seul sur scène, pour un faiseur de chansons, peut signifier une chose et son contraire: un passage obligé à faire en début de carrière ou une forme de consécration pour l'auteur-compositeur-interprète au sommet de son art. La trajectoire de Pierre Lapointe en est l'illustration parfaite. Lorsqu'on l'a découvert, peu après sa victoire à Granby, il s'accompagnait seul au piano, mais avait déjà la tête pleine d'idées d'arrangements. Presque une décennie de succès plus tard, à l'automne 2009, le voir sur scène dans un tel dépouillement tenait du privilège.

Sa performance «seul au piano» à la salle Wilfrid-Pelletier a elle aussi quelque chose d'événementiel puisqu'il se produit en lever de rideau d'un programme mettant en vedette Jeanne Moreau et Étienne Daho. Pierre Lapointe n'est toutefois pas le seul artiste d'ici à monter au front dans le plus simple appareil - musicalement, s'entend. Mara Tremblay, Yann Perreau, Luc De Larochellière, Mononc' Serge et Philippe B en feront autant. De mémoire de journaliste, aucune présentation des Francos n'a proposé autant de spectacles solos.

«Le show tout seul a souvent été vu comme le parent pauvre du spectacle, constate Mononc' Serge. Pour moi, c'est exactement le contraire. Il y a des artistes qui, je trouve, sont à leur meilleur quand ils sont seuls. Richard Desjardins, par exemple.» Luc De Larochellière est d'accord: «J'ai déjà vu Joao Gilberto seul à la guitare à la salle Wilfrid-Pelletier, je n'aurais pas voulu le voir dans un autre contexte.»

L'aura d'un auteur-compositeur en pleine possession de ses moyens a même le pouvoir de traverser l'écran. Mara Tremblay avoue avoir ressenti le besoin de se produire seule sur scène après avoir visionné le DVD d'une performance solo de Neil Young. «Il y a une force qui se dégage d'un gars qui livre ses chansons seul», confirme Philippe B, avant de parler de Dylan, de sa guitare et son harmonica. Il a eu envie de tenter le coup même si son dernier album, Variations fantômes, est ponctué d'emprunts à la musique classique. «Je veux essayer, dit-il, je veux voir si, pour moi, c'est porteur.»

FIGURE IMPOSÉE

Jouer tout seul est parfois une figure imposée. La réalité de la tournée au Québec fait que, hors des grands centres régionaux, il est difficile pour bien des artistes de se produire avec un groupe de trois ou quatre musiciens. Réduire dans les dépenses revient souvent à diminuer le nombre d'accompagnateurs. «C'est la loi du marché qui parle, confirme Luc De Larochellière. Ce n'est pas tant les coûts du spectacle lui-même qui posent problème que ceux qu'il y a autour: le nombre de personnes à loger, à nourrir et à transporter.»

Se produire en solo devient ainsi une option intéressante en ce sens qu'elle permet aux artistes d'ajouter des dates à leur tournée en se produisant dans des salles trop petites pour accueillir ou rentabiliser un spectacle en formule groupe. Mara Tremblay a constaté cette réalité lorsqu'elle s'est produite en solo dans la foulée de son album Les nouvelles lunes. «J'ai carrément refait une tournée au Québec et il y a des endroits où j'ai pu retourner deux et même trois fois», se rappelle-t-elle.

Mononc' Serge, qui donne des spectacles solos depuis le début de sa carrière, est plus direct encore: «Pour moi, c'est plus payant de jouer seul, dit-il. Le cachet que je vais chercher en plus quand je joue en groupe ne compense pas pour les dépenses supplémentaires.» Ce n'est pas pour rien qu'il existe au Québec des programmes de soutien à la tournée: sans aide financière, bien des artistes ne sortiraient jamais des grands centres.

«C'est sûr que si tous les musiciens sont prêts à jouer pour 50$ et à dormir sous la tente, on peut peut-être y arriver», ironise Luc De Larochellière. Il y a toutefois bien plus qu'une réalité financière derrière le choix de jouer en solo, selon lui. «Jouer à deux, ça peut avoir l'air d'une tournée à petit budget, mais vraiment solo, je trouve que ça commence à ressembler à une performance, fait-il valoir. Je vois une nuance entre les deux.»





Photo Alain Roberge, La Presse

Mara Tremblay

MOMENT FRAGILE

Qu'ils soient habités par l'hallucinant charisme d'une Melissa Etheridge qui rocke la Place des Arts ou aussi intimes qu'une performance de Richard (Desjardins) et «sa guétard» dans un vieux théâtre des Laurentides, les spectacles solos donnent souvent lieu à des moments magiques. Ils possèdent un petit supplément d'âme qui tient sans doute au fait que, dans la salle, chacun sait et sent que l'artiste se place en position de grande vulnérabilité.

«Il y a plus de délicatesse de la part des gens, juge Mara Tremblay, mais aussi plus de délicatesse dans les chansons, dans l'approche, dans la rencontre elle-même.» Elle entend d'ailleurs pousser le dépouillement au maximum dans ses deux concerts aux FrancoFolies: contrairement aux spectacles solos présentés à l'époque de son album Les nouvelles lunes, où elle faisait usage de bande préenregistrées, elle misera tout sur sa voix, sa guitare et son piano.

«Je vais plus dans le coeur des chansons, c'est une rencontre avec moi et mes chansons», précise la chanteuse, dont le plus récent album, Tu m'intimides, reposait pourtant sur un mur de son compact et texturé soigneusement mis en place. Elle ne nie d'ailleurs pas avoir eu envie de faire l'exact contraire de ce disque. «J'avais envie de voir si les chansons existaient sans les arrangements, de voir ce qu'il y avait en dessous. Mon histoire avec ces chansons-là, bizarrement, est plus intime avec les arrangements que toutes nues...»

Yann Perreau, qui n'a pratiquement jamais donné de concert solo - il était accompagné du multi-instrumentiste Alex McMahon pour Perreau et la lune - a décidé de plonger par besoin de se retrouver seul dans son monde. Pour montrer comment il compose ses chansons, seul, chez lui, et jusqu'où il peut aller quand il n'a qu'un piano sous la main. «Je vais même mettre le piano à queue au milieu du Club Soda. Les gens vont être assis autour de moi, explique-t-il.

«Je pense que les gens ont besoin de cette proximité-là, poursuit-il. Il y a tellement de bébelles dans la musique de nos jours, alors je me suis dit qu'un petit peu d'humanité ne ferait pas de tort.»





Photo Alain Roberge, La Presse

Mononc' Serge

LIBERTÉ (IN)CONTRÔLÉE

«Quand tu te retrouves seul au volant, en tant qu'auteur-compositeur, tu as moins de munitions, reconnaît Luc De Larochellière, mais tu as le contrôle total sur ton affaire.» Jouer seul, c'est une zone de liberté que chacun exploite à sa manière: en changeant l'ordre des chansons sans préavis, en jasant longuement avec l'assistance ou osant des choses qu'ils ne feraient pas en groupe, de peur de leurs accompagnateurs s'emmerdent...

«Quand j'ai des musiciens avec moi, je ne veux pas les faire chier, alors on laisse la musique parler», dit d'ailleurs Yann Perreau. Seul au piano, au milieu du Club Soda, il se permettra de faire tout ce qu'il ne peut pas faire avec son groupe et de lever le voile sur des trucs qui le nourrissent au plan artistique, mais qu'il n'apporte pas dans son spectacle rock. Des lectures de poèmes notamment: Lucien Francoeur, Walt Whitman, Bukowski, Prévert et Renaud. «Et je fais des sketches», annonce-t-il.

Mara Tremblay, elle, s'offre le loisir de revoir complètement les arrangements de certaines de ses chansons, même parmi les plus connues. Ainsi, pour la première fois, elle troquera la guitare contre le piano au moment d'interpréter Tout nue avec toi, l'une des chansons phares de Chihuahua, son premier album.

Mononc' Serge, lui, ne fait pas de plan. «Seul, tu sens plus la salle, pour le meilleur et pour le pire, dit-il. Parfois, tu entends le monde parler et ça devient déconcentrant, mais c'est aussi plus facile de rebondir sur quelque chose que quelqu'un vient de dire dans la salle. Le spectacle est ouvert à toutes sortes de dérapages.» Tant mieux, car on ne va surtout pas le voir pour assister à un concert policé et formaté.





Photo Alain Roberge, La Presse

Yann Perreau

UN PAS VERS LA CRÉATION

Yann Perreau l'admet d'emblée: son spectacle solo des FrancoFolies s'inscrit dans un processus plus large qui doit le mener à son prochain disque. Sa tournée Un serpent sous les fleurs est pratiquement terminée et, il tient à le préciser, n'a aucune intention d'amorcer une tournée tout seul. Se concentrer sur le piano, l'instrument sur lequel il compose, le prépare mentalement aux deux projets qui l'occuperont au cours des prochains mois: l'écriture d'un morceau qui doit servir à un spectacle de danse et de chansons nouvelles.

«Je pratique mon piano comme je n'ai jamais pu le faire», dit le chanteur. Il parle d'ailleurs de sa performance solo aux Francos, qu'il considère en quelque sorte comme la «première partie» du concert rock aussi au programme, comme d'une manière de «rentrer dans ses affaires» et de reprendre contact avec la création.

D'autres musiciens avant lui ont affirmé que de se retrouver seul sur scène avec ses chansons est une bonne façon de faire le point. Philippe B. juge d'ailleurs que de jouer une chanson tout seul devant des gens permet non seulement à son auteur de la tester, mais aussi d'apprendre à l'interpréter. Devoir adapter ses propres chansons pour un seul interprète représente aussi tout un défi qui, sur le plan artistique, ramène à la création.

«Quand tu enlèves des éléments, il faut que tu figures les choses autrement, expose Luc De Larochellière. Il y a des chansons qui demandent de gros réaménagements. J'en essaie plein et j'essaie de trouver des façons de les jouer. Parfois, ça se fait tout seul, mais il y a des chansons pour lesquelles je dois me creuser les méninges et d'autres pour lesquelles je n'ai pas encore trouvé de solution...»

VERTIGE DU SOLO

Se produire seul sur scène ne demande pas de cran particulier, selon Mara Tremblay. Elle estime qu'il faut du courage pour monter sur scène tout court. «À la limite, je trouve ça plus facile toute seule», ajoute la chanteuse et musicienne, qui a entrepris en avril une série de spectacles en solo. Tous n'abordent toutefois pas ce genre de concert avec autant de sérénité.

Philippe B., qui a déjà chanté en première partie de Mara Tremblay, considère par exemple que se produire seul sur scène constitue une forme extrême de mise à nu qu'il a mis du temps à apprivoiser. «Je trouve ça plus intimidant, avoue-t-il. C'est plus gênant parce que les gens écoutent vraiment ce que tu dis, mais j'aime ce côté plus immédiat et voir les réactions dans le visage des gens.»

«Je ne sais pas si j'aurais eu le courage d'essayer tout seul si je n'avais pas été poussé dans la piscine», révèle pour sa part Mononc' Serge, dont le personnage scénique n'a pourtant rien du chanteur introverti. Sa première performance solo fut d'ailleurs accidentelle. En 1998, il a roulé jusqu'à Québec pour participer au radiothon d'une antenne communautaire. Il prévoyait s'installer en studio devant un microphone, mais s'est retrouvé devant un public au Musée du Québec...

«J'avais emporté ma guitare et quelques chansons. J'avais encore besoin de mes feuilles, parce que je ne les connaissais pas encore par coeur», se rappelle-t-il. Ce baptême de feu a été une révélation pour lui: «J'ai constaté que ça fonctionnait mieux qu'avec les musiciens avec lesquels je jouais à l'époque, expose l'extravagant personnage, qui n'a pratiquement jamais cessé depuis de faire des spectacles solos parallèlement à ses tournées en groupe. J'ai l'impression que l'essence de ce que je fais ressort plus quand je suis seul.»

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Philippe B., le 10 juin au Club Soda (en première partie de Jérôme Minière).

Mara Tremblay, les 10 et 11 juin à L'Astral.

Mononc' Serge, le 11 juin au Club Soda.

Pierre Lapointe, le 11 juin à la salle Wilfrid-Pelletier (avant Le condamné à mort avec Étienne Daho et Jeanne Moreau).

Yann Perreau, 15 juin au Club Soda (solo à 19h; formule rock à 22h).

Luc De Larochellière, le 16 juin à L'Astral.













Photo Alain Roberge, La Presse

Philippe B.