Invité à ouvrir la 37e saison de ce Festival de Lanaudière dont il est désormais l'«ambassadeur artistique», Alain Lefèvre s'était imposé un programme surhumain - très riche, très original, mais... surhumain - et il l'a livré dans des conditions extrêmement pénibles.

Il faisait hier soir, dans l'église de L'Assomption, une chaleur qui incommodait tout le monde... tout le monde sauf, de toute évidence, notre héroïque pianiste. Malgré les spots qui en rajoutaient, malgré la sévère tenue de concert qui le gardait prisonnier, Lefèvre s'est rendu au bout des deux heures de musique promises avec le courage, mais aussi les blessures, d'un vrai soldat.

En fait, il y avait quelque chose de surréaliste dans cet exercice tenant à la fois du spectacle et du concert. Plus la soirée avançait et plus il faisait chaud, plus Lefèvre jouait fort, comme mû par une sorte de rage où s'oubliait l'environnement... et plus il frappait de fausses notes aussi, il faut bien le dire.

Par deux fois, il conclut sur cette spectaculaire pirouette du corps tout entier devenue sa «marque de commerce» et qui, comme toujours, suscita les cris de joie de la foule trépidante de quelque 600 personnes. Après La Valse de Ravel presque assourdissante, même «réduite» de l'orchestre au piano, j'ai cru qu'il allait atterrir sur le maître-autel! Il a aussi parlé, s'est levé pour aller déplacer un projecteur qui le gênait, et j'en passe.

Hier soir, Alain Lefèvre nous a donné le meilleur et le pire de lui-même: le style poète et le genre bulldozer. Le poète nous a émus dans des passages calmes et réfléchis, à l'indicible beauté et à la dynamique modérée, de certains des Préludes de Chopin, dans le mouvement lent de la deuxième Sonate de Rachmaninov et dans la Sonate en fa majeur, Hob. XVI: 23, de Haydn.

Ce Haydn peu connu fut la grande réussite du récital: exécution irréprochable, musicalité raffinée. Détail important: chacun des trois mouvements est constitué de deux sections à reprises. Au milieu de la chaleur qu'il faisait, Lefèvre aurait pu omettre la deuxième reprise, comme cela se fait couramment. Modèle de discipline, il respecta les six reprises indiquées. C'est-à-dire qu'il joua la sonate deux fois en entier.

Il ouvrait son récital avec un Prélude et Fugue de Bach transcrit par Liszt, marquant le passage de l'orgue au piano avec une clarté qui soulignait les quatre voix fuguées et, en même temps, une pesanteur suggérant la partie de pédale originale. Hélas! la réverbération de l'église noyait bien des lignes, tout comme dans le reste du programme.

Ainsi, dans le Rachmaninov, les torrents d'accords martelés à toute force produisaient une insupportable surcharge sonore. Après l'entracte, la situation empira. Mis à part les accalmies mentionnées, les Préludes de Chopin furent marqués de tant d'erreurs, y compris des trous de mémoire, qu'on se demandait pourquoi Lefèvre continuait, surtout que le piano commençait à sonner faux.

Mais non: le bulldozer avait encore du carburant et poursuivait sa marche, fût-ce au détriment du Ravel. De ce chef-d'oeuvre qu'est La Valse, il n'est pas resté grand-chose. Lefèvre y accentuait des voix secondaires d'une façon si fantaisiste qu'on ne reconnaissait plus le texte.

Pierre Arcand, le ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles du nouveau gouvernement provincial, assistait au récital.

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ALAIN LEFÈVRE, pianiste. Hier soir, église de L'Assomption. Dans le cadre du 37e Festival de Lanaudière.

Programme:

Prélude et Fugue en la mineur, pour orgue, BWV 543 (c. 1709) - J. S. Bach, arr. pour piano: Franz Liszt

Sonate no 38, en fa majeur, Hob. XVI : 23 (1773) - Haydn

Sonate no 2, en si bémol mineur, op. 36 (1913, rév. 1931) - Rachmaninov

24 Préludes, op. 28 (1836-1839) - Chopin

La Valse, pour orchestre (1920) - Ravel, arr. pour piano de l'auteur