Le Quatuor à cordes Orford fut créé au Centre d'arts du même nom en 1965 et, malgré quelques turbulents changements d'effectifs, exista jusqu'en 1991. Constitué il y a deux ans, le Nouveau Quatuor Orford entend «perpétuer la réputation et la tradition de son prédécesseur», pouvait-on lire dans le programme du concert que l'ensemble présentait lundi soir à la petite Église de Saint-Alphonse-Rodriguez, au Festival de Lanaudière.

Même s'ils n'oeuvrent pas sur le même territoire, Orford et Lanaudière sont des concurrents et les retrouver sous le même toit avait quelque chose de cocasse, on l'admettra.

Indépendamment de ces considérations, je dois dire que cet «Orford junior» a atteint, en deux ans seulement, une qualité technique et sonore, une unité de jeu et une densité d'expression qui ont demandé un quart de siècle à l'ancien ensemble. Ce que nous avons entendu lundi soir était du plus haut niveau et égalait en tous points ce que le Ladies' Morning et Pro Musica nous emmènent de mieux de l'étranger. Les deux violonistes alternent au premier-pupitre et l'idée, reprise de quatuors comme le Emerson, est stimulante. La sonorité souple et expressive du violoncelliste est également à signaler.

Une partie du programme de lundi soir avait été donnée ces jours derniers à Orford même et à Lachine. On entend d'abord Blanc dominant, d'Ana Sokolovic. L'oeuvre fut commandée par le Quatuor Molinari, qui la créa en 1998. (Curieusement, ce détail ne figure que dans la partie anglaise (!) du programme.) Le Molinari la reprit au moins deux fois. L'oeuvre de 15 minutes s'écoute encore bien, avec ses glissandos, pizzicatos, harmoniques, «sul ponticello» et autres effets sonores. L'auteur emprunte trop à Bartok cependant.

Les deux principales oeuvres étaient, bien sûr, l'op. 135 de Beethoven et le D. 887 de Schubert (et non 885, comme le donnait le programme). Ces ultimes quatuors des deux compositeurs datent de la même année 1826, leur écriture est audacieuse et ils nous plongent dans un univers à la fois troublé et abstrait. Ce choix indique de la part du Nouveau Quatuor Orford un sérieux que je ne me rappelle pas avoir remarqué chez le prédécesseur.

Une panne de courant survint dans le Beethoven au moment précis où les musiciens allaient attaquer le finale, assorti du fameux «Muss es sein? - Es muss sein!» («Le faut-il? - Il le faut!»). Le concert se poursuivit à la lueur des lampions, puis la lumière revint à la fin du Schubert.

Applaudi et rappelé, l'ensemble a joué un autre Beethoven, la Cavatina du Quatuor op. 130.

Le premier disque du Nouveau Quatuor Orford était lancé à cette occasion. Paru sous la marque Bridge, il réunit les mêmes Beethoven et Schubert.

Jonathan Crow a par ailleurs confirmé qu'il quitte Montréal pour devenir le violon-solo du Toronto Symphony. Il prend son poste dès septembre mais demeurera au sein du Quatuor et continuera d'enseigner pendant quelque temps à McGill.

__________________________________________________

NOUVEAU QUATUOR À CORDES ORFORD - Jonathan Crow et Andrew Wan (violons), Eric Nowlin (alto) et Brian Manker (violoncelle). Lundi soir, église de Saint-Alphonse-Rodriguez. Dans le cadre du 34e Festival de Lanaudière.

Programme:

Blanc dominant (1998) - Sokolovic

Quatuor no 16, en fa majeur, op. 135 (1826) - Beethoven

Quatuor no 15, en sol majeur, op. 161, D. 887 (1826) - Schubert