Après les Tiberghien, Stern et leurs prétentions musicales, quel bonheur d'écouter enfin un vrai musicien, un interprète à la fois humble et grand: le Néerlandais Ronald Brautigam, invité hier soir au Festival de Lanaudière.

Cheveux gris en broussaille, simples chemise et pantalon noirs de travail, l'homme de 56 ans est venu faire de la musique, un point c'est tout. Il joue sans manières, il possède la virtuosité requise mais n'en fait pas état (il frappe même quelques fausses notes) et il fait passer le message musical à chaque instant.

Les bancs de la petite église du très lointain village de Saint-Alphonse-Rodriguez peuvent recevoir 250 personnes. Ils étaient presque tous occupés, sans aucun doute parce qu'aux noms de Chopin et de Brautigam s'ajoutait l'intérêt d'entendre un authentique Pleyel de 1848.

Les Pleyel étaient, avec les Érard, les pianos préférés de Chopin. Celui d'hier soir date de l'année précédant la mort du compositeur. Un  restaurateur de pianos de Québec, Marcel Lapointe, le découvrit à Paris -- en ruine, rapporte-t-il --, le fit transporter ici et le remit en état.

M. Lapointe (qu'on a vu tourner les pages du pianiste dans certaines oeuvres) répondit aux questions des auditeurs après le récital. Son Pleyel restauré fut joué par Jean Saulnier à Orford le 18 juin et Janina Fialkowska le jouera prochainement à Toronto.

L'instrument est fort beau et il sonne fort bien. Il est un peu plus petit qu'un piano moderne, son clavier compte un peu moins de 88 touches (le nombre habituel) et ses marteaux sont recouverts d'un matériel moelleux qui produit ce son feutré caractéristique des pianos de l'époque.

Souvent plutôt sec au disque, le son du piano ancien est nettement plus vivant dans une acoustique comme celle d'hier soir, avec une belle rondeur à la basse et un aigu velouté. En fait, la différence entre piano ancien et piano moderne, bien que réelle, n'était jamais gênante.

Il faut dire que M. Brautigam avait établi son programme en fonction de l'instrument. De Chopin, il avait surtout choisi des pages très rares et surtout assez simples, du genre musique de salon: le Rondo op. 16, le Boléro op. 19 et les Variations brillantes sur le rondeau favori «Je vends des scapulaires», op.12. Le «rondeau» en question est un air pour soprano tiré de Ludovic, obscur opéra du non moins obscur Louis-Ferdinand Hérold. On n'en sait pas davantage.

Le drame qui habite l'ambitieuse quatrième Ballade passe avec moins de force que sur un grand Steinway. Ici, réaction ambivalente: il importait de faire évoluer le piano... mais il est intéressant d'entendre cette grande oeuvre comme son auteur lui-même l'a entendue.

M. Brautigam consacre l'après-entracte au cycle Kreisleriana, que Schumann dédia à Chopin et qu'il a choisi pour marquer le double bicentenaire de ces compositeurs. Il transcende les limites de l'instrument et nous livre les huit petites pièces dans leur fascinant mélange de poésie, de tendresse et d'espièglerie. De Schumann encore, il ajoute en rappel l'énigmatique Vogel als Prophet («L'Oiseau-prophète»), tiré des Waldszenen.

RONALD BRAUTIGAM, pianiste. Hier soir, Église de Saint-Alphonse-Rodriguez. OEuvres de Chopin et Schumann. Dans le cadre du 33e Festival de Lanaudière.