Dans la langue familière du Québec, Dr. Lonnie Smith peut être qualifié de bébitte. Méchante bébitte? Joyeuse bébitte!

Maître de l'orgue Hammond B3 depuis la grande époque funk au tournant des années 60, habité par les esprits du groove, le septuagénaire porte le turban et la barbe grise, conformément à la croyance sikhe. On le nomme affectueusement le Turbanator, bien au-delà de son appartenance religieuse.

Chaque rencontre à laquelle il nous convie est une célébration de joie, de plaisir et d'humour absurde, orgie de musique hors du commun. Le recueillement de Lonnie Smith exclut le registre de la gravité.

Ses musiciens lui ont jadis donné cet autre sobriquet de Docteur, évoquant ses capacités et connaissances «doctorales» en musique. Vertus thérapeutiques, de surcroît.

«Lorsque je joue, je perds le sens de la réalité. Je ne sais plus exactement où je suis, fort probablement dans un autre monde. Manière de transe? Je le crois. La musique me semble donc un moyen d'entrer en transe et aussi de guérir les maux de l'âme. Elle peut changer votre état d'esprit », affirme-t-il de son domicile de Fort Lauderdale.

Thérapeute des sons, le bon docteur choisit assurément les ondes positives.

«Je joue cette musique pour moi-même, bien entendu, mais je la joue d'abord pour les gens. Je veux qu'ils fassent le voyage avec moi! Où allons-nous ensemble comme ça? Je ne sais jamais exactement quelle direction cela va prendre, mais c'est toujours une expérience commune, vécue au moment présent. Lorsque je donne des classes de maître, je dis souvent aux jeunes musiciens qu'il leur faut exprimer leur propre vie, telle qu'ils la ressentent ici et maintenant. Il faut être connecté au moment, bien au-delà de la virtuosité et des subtilités des compositions en jeu.»

Afro-Américain de religion sikhe, Dr. Lonnie Smith est aussi un mystique atypique dans le contexte de ses propres origines.

«Ce que j'aime de la religion sikhe, soulève-t-il, c'est l'ouverture aux autres croyances. Nous ne sommes pas centrés sur nous-mêmes, il y a dans cette spiritualité une belle et véritable ouverture d'esprit. Lorsque je l'ai découverte, j'ai senti que cette religion en était une de paix et d'harmonie. C'est aussi une forme ouverte, car on ne m'y dicte pas ce que je dois être. Je m'y sens très libre.»

Une carrière fructueuse

Originaire de la région de Buffalo, le Turbanator provient d'une famille de musiciens et chanteurs; ensemble vocal populaire dans la région à l'époque, bonne éducation musicale. Fraîchement débarqué à New York dans les années 60, il fut admis en tant que spécialiste du Hammond B3 chez George Benson.

Très vite, il put enregistrer sa musique avec des pointures de l'époque, notamment Lee Morgan, David «Fathead» Newman, Blue Mitchell, et particulièrement le saxophoniste Lou Donaldson avec qui il a enregistré huit albums au cours de sa longue et fructueuse carrière.

À titre de leader, il compte pas moins de 26 opus studio ou enregistrés devant public, dont les récents Evolution (2016) et All in My Mind (2018) chez Blue Note.

En route depuis la fin des années 60, Dr. Lonnie Smith s'est ouvert à plusieurs genres, du jazz coltranien, shorterien ou monkien au corpus de Jimi Hendrix ou à celui de Paul Simon, en passant par les élans jazzy funk ou même l'afro-jazz. Son registre est vaste, inutile de le souligner.

«J'aime tous les styles, j'aime la musique ! J'aime une pièce, je la joue sans autres considérations que de l'apprécier. Je m'imagine jouer une chanson que j'aime avant de la jouer pour vrai.» 

Ainsi donc Dr. Lonnie Smith fonde ses trois concerts montréalais de la série Invitation sur le trio qu'il forme avec le batteur Jonathan Blake et le guitariste Jonathan Kreisberg.

Ce soir, son trio accueille le saxophoniste vedette Chris Potter, qui s'est produit hier avec le tablaïste Zakir Hussein et le contrebassiste Dave Holland. Demain, la relecture et l'adaptation sur scène de l'album Evolution est au programme. Le trio sera renforcé de la chanteuse Alicia Olatuja et d'une section de vents - Sean Jones, trompette, Robin Eubanks, trombone, Jason Marshall, saxophone baryton. Samedi, le triptyque du Turbanator se conclut par une prestation endiablée du trio.

«J'aime bien reprendre la matière de mes albums récents, j'aime en rejouer les pièces mais... très différemment!», conclut-il.

______________________________________________________

Au Gesù, 18 h, ce soir, demain et samedi.