Certes l'un des plus grands bassistes et contrebassistes de l'histoire du jazz, assurément l'un des plus importants contributeurs de l'évolution du jeu pour ces instruments, figure marquante du jazz-rock des années 70 alors qu'il était membre du quartette Return to Forever que dirigeait Chick Corea, de surcroît Prix Miles-Davis 2011, Stanley Clarke revient à Montréal afin d'y présenter «un mélange de compositions récentes et anciennes».

«Un des problèmes du vieillissement, c'est l'embarras du choix! [Rires] Que jouer? Les fans souhaitent écouter différents titres selon leurs goûts et leur âge, selon ce qu'ils ont déjà entendu de moi. Alors nous avons une sélection qui, je l'espère, leur plaira. Ce qui devrait fort probablement se produire», amorce au bout du fil le musicien.

Aujourd'hui âgé de 66 ans, Stanley Clarke a encore la forme, qu'on se le dise.

«J'ai encore énormément de plaisir à jouer. Ma santé est bonne et je compte jouer jusqu'à ce que je n'en sois plus capable physiquement. Jusqu'à quel âge ? Pour la basse et la contrebasse, vous savez, l'âge n'est pas vraiment un problème. En tout cas, je ne le ressens aucunement. Je veux encore m'améliorer!»

Notre interviewé aime l'expression «effort de groupe» lorsqu'il parle des accomplissements de ses jeunes musiciens qu'il juge très talentueux et avec qui il vient d'enregistrer un album à paraître : le pianiste Beka Gochiashvili, le claviériste Cameron Graves et le batteur Michael Mitchell.

«Ces garçons peuvent interpréter aisément mon répertoire entier. Ils peuvent jouer n'importe quoi! Cette génération [début de la vingtaine] est bénie des dieux! Ils sont des enfants du web, ils se sont construit une culture très vaste, aussi hip-hop ou R&B. Ils écoutent toutes les variantes de jazz, ils aiment la musique classique, ils n'ont aucune limite stylistique. Comment ont-ils appris tout ça?! Je m'en étonne quotidiennement.»

Culture horizontale

Un demi-siècle plus tôt, rappelle le vétéran, l'accès à une telle connaissance était impossible, même pour les meilleurs. Néanmoins, le superbassiste s'est progressivement construit une culture horizontale, car l'éclectisme était pour lui une valeur importante dès l'aube de sa carrière.

«On ne pouvait se fier qu'à sa formation scolaire, à sa collection de disques et aux concerts. Il n'y avait à peu près rien d'intéressant à la télé, vous vous en doutez bien. Malgré tout, je me suis développé à l'horizontale.»

L'objectif premier de Stanley Clarke était de devenir un contrebassiste complet.

«Je suivais une formation classique lorsque des musiciens de jazz m'ont recruté. Je rêvais de me joindre à un orchestre symphonique, j'étudiais alors à la Philadelphia Music Academy.»

Il jouait aussi pour gagner sa croûte: rock, country, R&B... jazz. Les meilleurs l'ont repéré: Stan Getz, Horace Silver, Art Blakey, et... «J'ai rencontré Chick Corea, nous avons fondé Return to Forever. J'y ai découvert mes facultés de compositeur, je me suis ouvert davantage. Depuis, j'ai fait l'effort de rester curieux, éclectique. J'ai voulu me réaliser peu importe le style.»

Cette valeur de l'éclectisme n'a pas toujours été acceptée, souligne-t-il en outre.

«Je me souviens d'une époque où certains critiques doutaient que l'on puisse faire à la fois du jazz acoustique, du jazz fusion, puis du funky, du rock, du blues, du hip-hop ou même du jazz d'avant-garde, tout en restant compétent et satisfait. Le temps m'a donné raison, n'est-ce pas?»

Ainsi donc, si vous passiez une journée chez Stanley Clarke, vous pourriez entendre tour à tour James Brown, Metallica et Soundgarden en passant par John Coltrane ou les sonates pour piano de Beethoven. Tel est le programme suggéré au bout du fil!

«Il n'y a pas de hiérarchie dans la musique, martèle-t-il. Chaque style a ses qualités propres et il faut savoir les reconnaître.»

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The Stanley Clarke Band se produit ce soir, à 20 h, au Théâtre Maisonneuve, précédé du Jeremy Pelt Quintet.

Cinq projets marquants de Stanley Clarke... selon Stanley Clarke

«Le tout premier album de Return to Forever, sans titre, reste cher à ma mémoire. Magnifiques séances avec Airto Moreira, Joe Farrell, Flora Purim et Chick Corea. C'était l'aube de ma relation artistique avec Chick...»

«Light As a Feather fut pour moi un tournant. En excellent leader qu'il est, Chick m'avait gentiment suggéré que j'avais un talent de compositeur, m'encourageant à créer une pièce pour cet album. J'avais d'abord décliné l'offre, il a insisté en me proposant ce marché: si je composais une pièce, son titre serait celui de l'album. Et j'ai écrit Light As a Feather. Ce fut déterminant! Chick m'avait fait réaliser que je pouvais être un créateur. Je lui en serai toujours reconnaissant.»

Ses trois premiers albums solos: Stanley Clarke (sans titre), Journey to Love et School Days. «Le premier fut très spécial, car les compositions étaient sorties de moi dans un même élan. Même les pièces les plus complexes de cet album coulaient de source. J'en garde un excellent souvenir. J'en retiens aussi la participation de l'incroyable Tony Williams, qui se considérait comme batteur avant jazzman. Nous cultivions cette valeur commune. Puis les albums Journey to Love et School Days furent créés dans ce même cycle d'inspiration. C'est pour moi un triptyque.»

«Romantic Warrior, de Return to Forever, en 1976, est selon moi un grand disque. Nous avions réalisé l'exploit du succès commercial en excluant la forme chanson. C'était pour nous une grande fierté, c'était très spécial.»

«Mon album de 2010 [The Stanley Clarke Band] avait été récompensé aux Grammy. Je ne cours pas après les prix, mais celui-ci m'a touché particulièrement: j'y avais travaillé très fort et cette récompense avait comblé tous les musiciens et collaborateurs de ce projet, dont la claviériste japonaise Hiromi. Ça m'avait rendu aussi très heureux.»