Donny McCaslin menait la noble carrière d'un saxophoniste, compositeur, improvisateur et leader de haut niveau, reconnu partout sur la planète jazz. On l'avait d'ailleurs entendu jouer à maintes reprises sur les scènes d'ici, et ce, dans plusieurs contextes. On l'avait aussi vu fraterniser avec de nombreux musiciens montréalais avec qui il a tissé des liens au fil des ans, on s'était enquis de ses projets. Et puis... vint l'épisode Blackstar.

Contre toute attente, Donny McCaslin et le noyau de son groupe furent au centre de l'ultime et immense album de David Bowie, rendu public quelques jours avant son hallucinante disparition.

Comment cela s'était-il produit ?

Compositrice, arrangeuse et chef d'orchestre, la très douée Maria Schneider travaillait avec David Bowie sur la chanson Sue. Très satisfait de son travail, le chanteur britannique l'avait relancée afin qu'elle bosse sur d'autres titres de son prochain album, mais la musicienne devait elle-même achever son propre projet pour orchestre, The Thompson Fields.

Maria Schneider suggéra alors à Bowie le groupe de Donny McCaslin. Ce dernier était membre de son big band depuis de nombreuses années, elle connaissait bien son travail. Pour convaincre le Thin White Duke, elle lui fit jouer l'album Casting for Gravity, créé par le saxophoniste en 2012. C'était dans le sac.

« Cette rencontre entre deux cultures s'est faite sans heurts. David a absorbé notre musique pendant qu'il mettait au point ses propres chansons. Notre passage à son univers s'est fait naturellement, car nous avions tous grandi en écoutant sa musique. Qui plus est, nous avions intégré un vaste spectre de styles musicaux, bien au-delà du jazz », explique Donny McCaslin, joint à son domicile new-yorkais.

Les jazzmen d'aujourd'hui, effectivement, ont très majoritairement une culture éclectique, le rock de création n'est certes pas une terre inconnue.

« Sa musique se greffait naturellement à notre univers et vice versa ; nous étions aussi en mesure de lui procurer ce dont il avait besoin par notre langage. Dès le premier jour de ces séances, ça a fonctionné magnifiquement. Chaque soir, je rentrais chez moi comblé, souhaitant que le lendemain soit aussi extraordinaire. »

Ainsi, Bowie avait parfaitement pigé ce qu'il fallait tirer de ces jazzmen.

« [Bowie] était ouvert à cette interaction unique entre interprètes et improvisateurs. C'était fabuleux de le voir sauter à pieds joints dans cette dynamique, et nous suggérer un autre cadre de création. Il nous a poussés à nous dépasser, son énergie était contagieuse. »

Et la maladie ? McCaslin ne l'a jamais senti affaibli, diminué, éteint par ses problèmes de santé : 

« Il nous a paru très fort tout au long du processus. Ses interventions ont toujours été à la hauteur. La manière dont il s'adressait à nous était sans contraintes, sans préjugés, très ouverte. Il fut généreux, humble, très présent. »

On connaît la suite... Blackstar figure aujourd'hui parmi les meilleurs albums de la discographie entière de David Bowie, ce qui n'est pas peu dire.

Inutile d'ajouter que le travail subséquent de Donny McCaslin en fut marqué.

« Lorsque j'ai composé les pièces de mon récent album Beyond Now, les séances de Blackstar étaient encore très présentes à mon esprit. Cela a très certainement influencé ce répertoire, conférant plus de profondeur à l'interaction. D'autres artistes non jazzistiques, il faut dire, ont aussi marqué cet album, je pense à Aphex Twin, Kendrick Lamar, Deer Hoof, Radiohead, Autolux, Meshuggah, Sufjan Stevens, j'en oublie certainement. »

Donny McCaslin s'amène à Montréal avec deux autres musiciens ayant participé aux séances de Blackstar, soit le batteur Mark Guiliana et le claviériste Jason Lindner, auxquels se joint le bassiste Nate Wood (de surcroît un excellent batteur).

« Nous jouerons la matière de mon nouvel album, également de nouvelles musiques que je suis à mettre au point, quelques-unes de mes pièces enregistrées antérieurement et aussi des reprises de David. »

Tout cela s'inscrit dans le sillage de ce que notre interviewé a accompli depuis 2012.

« Jason, Nate et moi-même utilisons l'électronique. L'électronique venait auparavant de la basse et des claviers, je me suis joint à l'affaire avec mon propre instrument. L'électronique est intégrée à l'instrumentation, car nous improvisons aussi avec les sons de synthèse ; il n'est plus exclusivement question de notes, mais également de sons et de textures. Plus qu'un ornement, l'électronique est profondément intégrée à notre travail. »

Prêts pour l'après-Blackstar ?

Au Gesù, ce vendredi soir , 22 h 30

Photo fournie par le festival de jazz

La carrière du saxophoniste Donny McCaslin a connu un tournant lorsqu'il a été recruté pour travailler sur le dernier album de David Bowie, Blackstar.