Après une pause qui aura duré 25 ans, UZEB se reforme le temps d'une courte tournée qui se mettra en branle au Festival de jazz. Conversation croisée sur le parcours atypique de trois mordus de musique : Paul Brochu, Alain Caron et Michel Cusson.

La rencontre

Eusèbe Jazz, qui a vite troqué le « s » contre un « z » avant de devenir UZEB, est né lors d'un concert à l'école Labrèque d'Acton Vale, le soir de la Saint-Eusèbe, en août 1975. L'année suivante, le guitariste Michel Cusson, le batteur et claviériste en devenir Jean Saint-Jacques et leurs amis remportaient un concours provincial d'orchestres.

Michel Cusson : « Je me souviens du premier cours de guitare que nous a donné Jean-Marie Benoît, à Gaston Mandeville et moi. On jouait deux notes chacun de L'oiseau de René Simard.

- Vas-tu la jouer au Festival de jazz ?

Paul Brochu, en riant : « Je ne te le conseille pas. »

Michel Cusson : « Pendant que j'étais au cégep, j'organisais des jams tous les mardis soir à la Mezzanine, un club de Drummondville. Au printemps 1977, Alain s'est adonné à venir me voir jouer. »

Originaire de Saint-Éloi dans le Bas-Saint-Laurent, Alain Caron a quitté la maison familiale à 14 ans pour tenir la basse dans des groupes de Top 40 qui sillonnaient la province. Il vivait dans les hôtels où jouait son groupe.

Alain Caron : « De passage à Drummondville, je suis allé les voir. Je trouvais ça le fun, des jeunes qui jouaient du jazz. Je me suis présenté, Michel est venu dans ma chambre d'hôtel, on a joué deux minutes et on s'est dit tout de suite qu'on allait faire le tour du monde ensemble. On se comparait déjà à Miles Davis. »

Michel Cusson : « Humblement. »

Alain Caron : « Humblement. C'était notre but de faire partie de ce monde-là, donc on a mis la barre très, très haut tout de suite en partant. Quelques mois plus tard, j'ai lâché le groupe de Top 40 et on a déménagé ensemble à Longueuil. »

Michel Cusson : « C'était clair pour moi : je voulais faire une carrière musicale. Quand Alain est arrivé, avec tout le respect que j'ai pour les autres, c'est là que c'est devenu comme un vrai band. »

Paul Brochu : « Moi, j'étudiais au Conservatoire de musique de Québec quand j'ai entendu parler d'Euzèbe Jazz que je suis allé voir au pavillon Pollack. Après l'arrivée d'Alain, la popularité du groupe s'est accrue et je les ai vus jouer avec Stéphan Montanaro et Sylvain Coutu au Figaro, au Créneau et au Bar Élite. »

Alain Caron : « Mario Parent, un ami commun, m'a dit : "Il y a un drummer de Québec qu'il faut que tu entendes." À l'été 80, il a organisé un concert ici à Longueuil et il a fait venir Paul, le gars de Québec en question. Il était bon en cibole ! Notre drummer Sylvain Coutu est venu l'écouter jouer et il nous a dit : "C'est le gars que ça vous prend." »

Paul Brochu : « Mieux que ça, quand on a fait notre premier disque studio Fast Emotion, que Sylvain a réalisé, c'est lui qui m'a prêté son drum, un gros Ludwig. »

Photo fournie par le groupe

Michel Cusson, Jean Saint-Jacques et Alain Caron à l'époque d'Euzèbe Jazz.

Photo fournie par le groupe

Le trio de la fin des années 70 portant le t-shirt qui donnera à Cusson l'idée d'adopter le nom UZEB.

L'envol

En 1981, un producteur de Radio-Canada International propose à UZEB de donner un concert en Angleterre et d'y graver un album qui sortira sous l'étiquette de Radio-Canada : Live in Bracknell. Avant de partir en Angleterre, le groupe se cherche un nom.

Alain Caron : « On était déjà pas mal connus, donc on ne pouvait pas changer complètement de nom. »

Michel Cusson : « On s'était fait faire des t-shirts Euzèbe Jazz. Ma blonde de l'époque en portait un et, par hasard, j'ai mis mes mains sur ses seins, cachant ainsi les deux "E". J'ai vu UZEB et j'ai dit : "Voilà !" Cette anecdote, je l'ai racontée je ne sais pas combien de fois en tournée. »

Live in Bracknell est vite devenu le disque qui se vendait le mieux à la boutique de Radio-Canada.

Alain Caron : « Quand Jean Robitaille, un producteur devenu un bon ami, s'est rendu compte que le groupe avait du potentiel grâce à ce disque, il en a acheté les droits et il a nous a fait signer un contrat sur son label Paroles & Musique. »

À l'été 81, UZEB joue pour la première fois au Festival international de jazz de Montréal, en première partie d'Arthur Blythe à l'Expo-Théâtre. En plus de participer à de nombreuses sessions d'enregistrement, il accompagne pendant un an et demi Diane Tell, qui avait découvert le groupe en 1980 à l'Air du temps, une boîte de jazz du Vieux-Montréal.

Par la suite, UZEB enregistre son premier album studio, Fast Emotion.

Alain Caron : « Si je me souviens bien, on en a vendu 35 000 exemplaires. Tout le monde était sur le cul parce que plusieurs à Montréal croyaient qu'UZEB n'était qu'un band bon pour accompagner des chanteurs. Ça a tout changé. Notre gérant est allé au MIDEM, à Cannes, où une amie de Montréal lui a présenté Jean-Marie Salhani qui est devenu notre éditeur, notre compagnie de disques, notre booker et notre ami qui travaille encore avec nous. »

À l'automne 83, Salhani convainc André Francis, du Festival de jazz de Paris, de programmer UZEB dans une petite salle du Musée d'art moderne, place du Trocadéro, devant 200 spectateurs dont plusieurs musiciens. Ce concert sera diffusé à la radio. Puis le violoniste Didier Lockwood accepte de les faire jouer pendant une semaine en première partie de ses concerts au Sunset, dans le quartier des Halles.

« C'est dans ce club qu'UZEB s'est vraiment fait connaître, nous écrit Jean-Marie Salhani. Quand ils sont arrivés à Paris fin octobre 1983, nous avions vendu 400 disques de Fast Emotion. Fin décembre, nous en étions à 20 000. »

Alain Caron : « Jean-Marie nous a bookés à une émission de télé qui s'appelait L'écho des bananes. Ça a été l'élément déclencheur. À partir de là, on s'est mis à remplir nos salles en France. »

Photo fournie par le groupe

En 1983, UZEB enregistre un album au Studio de Morin Heights.

La consécration

Les claviéristes passent (Jean Saint-Jacques, Stéphan Montanaro, Jeff Fisher, Michel Cyr, re-Jean Saint-Jacques), mais le noyau d'UZEB demeure Cusson, Caron et Brochu. De 1983 à 1990, UZEB lance neuf albums, dont plusieurs en concert, là où le groupe conquiert un public de plus en plus vaste.

Michel Cusson : « Pour l'album Between the Lines [1985], on a passé des millions d'heures avec des séquenceurs à écrire des tounes... »

En 1984 et en 1989, UZEB est couronné groupe de l'année au Gala de l'ADISQ, ce qui n'est pas rien pour un groupe de jazz. Au fil des ans, il récoltera neuf Félix, donnera au-delà de 1000 concerts dans une vingtaine de pays et vendra un demi-million d'albums. Dont plusieurs en France.

Paul Brochu : « Chaque fois qu'on allait en France, on y passait au moins trois mois. »

Michel Cusson : « On retournait toujours au même hôtel, c'était notre quartier général. Juste avec UZEB, j'ai dû passer un an à Paris. J'ai compté au moins 500 concerts dans une centaine de villes en France. On aurait pu y jouer à l'infini. »

UZEB a également joué en Belgique, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Suisse...

Alain Caron : « Ça a fait boule de neige. On jouait quatre soirs au Spectrum, une semaine à l'Olympia de Paris, au moins cinq soirs au Club Soda... On attirait des amateurs de jazz plus ouverts que les traditionnels, des amateurs de rock qui cherchaient autre chose, des amateurs de progressif qui entendaient autre chose dans UZEB. Leur point commun, c'était le son, l'énergie, la performance. »

La critique, notamment celle de Jazz Magazine, les écorchait à l'occasion et ils étaient un peu boudés par les festivals de jazz de l'Ouest canadien parce qu'ils étaient électriques, estime Alain Caron.

Michel Cusson : « C'est normal. Mais d'autre part, je ne compte plus les gars de heavy métal qui sont venus me voir pour me dire : "C'est toi qui m'as fait découvrir d'autres musiques que je ne connaissais pas." Ça a dû vous arriver aussi ? »

Alain Caron : « Des centaines de fois. On a amené beaucoup de monde à écouter du jazz. »

En 1991, UZEB joue à la salle Wilfrid-Pelletier où le Festival de jazz lui remet le prix Oscar-Peterson. Un DVD de ce concert paraîtra 15 ans plus tard.

Puis en 1992, l'ultime consécration, chez lui : le trio se produit en vedette du Grand Événement extérieur du Festival de jazz devant une mer de monde.

Ce sera son tout dernier concert.

Photo fournie par le groupe

Cusson, Saint-Jacques, Brochu et Caron sur la scène de l'Olympia de Paris.

La séparation

Le Grand Événement du Festival de jazz, le 7 juillet 1992, a laissé des souvenirs impérissables aux gars d'UZEB. Mais leur décision était prise : le trio allait faire une pause dont il ne se doutait pas qu'elle durerait 25 ans.

Michel Cusson : « En 1990, on ne le cachera pas, il y a eu un moment où on a ressenti l'usure normale d'un groupe qui tourne pendant cinq mois. »

Paul Brochu : « Six mois, on est partis six mois. Notre gérant à Paris avait un concept : les 100 concerts d'UZEB. On était habitués de partir deux ou trois mois puis on revenait à la maison et on ne se revoyait plus pendant un bout de temps. À partir du quatrième mois, ça a commencé à moins bien aller. »

Alain Caron : « On existait depuis 10 ans, donc on était un vieux groupe. Six mois sur la route, la bouchée était trop grosse et on s'est rendu compte qu'on avait besoin d'air. Ce n'était plus le fun. »

Michel Cusson : « On nous appelait UZEB. Ils ont dû t'appeler Alain Cusson, moi on m'appelait Michel Caron. À un moment donné, tu te dis : "Faut que je fasse mon nom." On a pris une pause à la fin de l'été 90, on est revenus pour trois semaines en 1991, ça a bien été, on a fait la tournée des festivals canadiens, mais ça a fini couci-couça. On a décidé de faire une autre pause. »

Alain Caron : « C'est sûr [qu'il y avait des frictions], on était des têtes fortes. Dans un groupe, faut faire des compromis et à un moment donné, tu as envie d'être 100 % toi-même. C'est ce qui est arrivé. Michel voulait faire ses affaires, moi j'avais la prétention de vouloir faire mes choses, j'en étais pas sûr mais j'ai décidé de me lancer. Tu te dis : "OK, j'arrête un an et je fais un album", mais ça prend des années pour ne plus être le bassiste d'UZEB. »

EN SOLO

Alain Caron est parti à New York où il a pris des cours dans le but d'écrire sa propre musique. Il a collaboré avec plusieurs grosses pointures du jazz dont Leni et Mike Stern ainsi que Billy Cobham, en plus de mener sa carrière en solo. Michel Cusson a composé une première musique de film pour L'automne sauvage de Gabriel Pelletier et on lui a proposé d'écrire celle d'Omertà. Un univers passionnant s'ouvrait à lui, qu'il pouvait concilier avec ses projets musicaux comme le Wild Unit. Paul Brochu a accompagné plusieurs artistes, dont Michel Legrand, et a empilé les contrats à la télé. Quand il avait le goût du jazz, il allait jouer dans un club avec des amis comme Jean-Pierre Zanella. Brochu et, plus récemment, Caron ont également donné dans l'enseignement de la musique.

PHOTO DENIS COURVILLE, archives LA PRESSE

UZEB sur la scène extérieure du Grand Événement du Festival de jazz le 7 juillet 1992.

Les retrouvailles

Depuis 25 ans, Michel Cusson, Alain Caron et Paul Brochu ne se sont pas perdus de vue. Lors d'un souper entre amis, il y a quelques années, leur éclairagiste Richard Lafortune leur a lancé qu'il rêvait du retour d'UZEB.

Alain Caron : « Pour nous autres, c'était fini, on était passés à autre chose. Puis, lors d'un autre souper, chez moi, on s'est rendu compte que dans deux ans, ça allait faire 25 ans. On s'est dit que si on faisait quelque chose, c'était maintenant ou jamais. »

Paul Brochu : « C'est une question de timing aussi. Il y a trois ans, on en avait parlé, mais Alain venait de sortir un album, donc le timing n'était pas très bon. »

Michel Cusson : « Il y a aussi que j'ai donné toutes mes vieilles bébelles, mon équipement qui accumulait de la poussière. On le voit aujourd'hui, c'est plus compliqué qu'on pensait. Je le dis très honnêtement : il y a toutes sortes de petits trucs dans notre musique qui font qu'on se demande comment on fait pour faire ça. Je ne renie pas mon son de l'époque, mais il n'existe plus ce son-là et, aujourd'hui, je suis obligé d'en créer un autre. Tant qu'à y être, on va en faire un nouveau qui va être à notre goût. »

« TOUT EST REVENU »

UZEB a commencé à répéter l'an dernier et il s'y est mis plus intensivement il y a environ deux mois.

Alain Caron : « Dans nos premiers meetings, on a fait une écoute de la musique qu'on avait jouée pour choisir celle qui avait le mieux vieilli. Puis on s'est demandé ce qu'était UZEB, ses forces, son ADN. On s'est concentrés là-dessus en mettant ça au goût du jour. »

Paul Brochu : « Aussitôt qu'on s'est mis à jouer, tout est revenu, à part quelques petits détails. C'est comme si ça faisait deux semaines qu'on n'avait pas joué ensemble. »

Michel Cusson : « C'est un peu comme le feeling de rouler en Ferrari. T'embarques pas souvent là-dedans, mais quand t'embarques, crisse que c'est le fun ! Cette euphorie, c'est un peu ça, UZEB. »

Quand La Presse les a rencontrés chez Cusson à la fin mai, les trois amis n'envisageaient pas de pondre de nouvelles compositions pour leur concert du 29 juin à Wilfrid-Pelletier et la tournée R3UNION qui les mènera en France, en Italie, en Israël et un peu partout au Québec jusqu'à la mi-septembre. Après ça, chacun a l'intention ferme de vaquer à ses propres occupations.

Donc pas question d'un nouvel album studio, mais comme ils vont enregistrer leurs concerts, ils pourraient décider de lancer un disque qui en témoignerait.

Michel Cusson : « On est bons dans les disques live ! »

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À la salle Wilfrid-Pelletier, le 29 juin

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

UZEB a commencé à répéter l'an dernier et il s'y est mis plus intensivement il y a environ deux mois.