Pour le plus ambitieux projet artistique de sa carrière, Emilie-Claire Barlow a choisi de lier un ensemble de jazz à un grand orchestre alliant les esthétiques symphonique et big band. Lancé l'automne dernier, l'album Clear Day concrétisait cette vaste entreprise de la chanteuse torontoise devenue montréalaise.

Présenté hier à la Maison symphonique, ce répertoire était enrichi de quelques titres préalablement popularisée par une Emilie-Claire en pleine possession de ses moyens.

Hormis ses propres créations, elle a choisi de reprendre des chansons populaires « classiques », puisant dans une grande diversité esthétique :  Raindrops Keep Fallin' de Burt Bacharach entrelardée d'une citation de Chick Corea; Because des Beatles assortie d'ornements très jazzy; Petit matin de Sylvain Lelièvre, déballée sur un swing léger et une réconfortante moquette de cordes; The Beat Goes On marinée aux Cornichons de Nino Ferrer; La belle dame sans regrets de Sting en mode jazz bossa; faste et sobre I Don't Know Where I Stand de Joni Mitchell; soyeuse Si j'étais un homme de Diane Tell...  on en passe et des meilleures.

De concert avec Steve Webster, partenaire de travail devenu partenaire de l'amour en cours de création, la musicienne a su créer des arrangements assez audacieux pour élever son auditoire féru de jazz pop,  sans le bousculer vraiment. Après tout, une chanteuse de jazz aussi fédératrice doit assumer son paradoxe, c'est-à-dire se positionner à la lisière de l'audace et du conformisme. Ce qui n'exclut pas la grande qualité, il va sans dire.

Pour piloter ce big band symphonique mis sur pied par le violoniste Philippe Dunnigan, Emilie-Claire Barlow a recruté un maestro singulier parce que  tromboniste virtuose, à la fois musicien classique et jazzman : à n'en point douter, Alain Trudel a su mener les deux esthétiques à bon port. De plus, elle a choisi des musiciens issus des cultures classique et jazz, tels la violoniste Julie Triquet, l'altiste Ligia Paquin, les saxophonistes André Leroux, Kelly Jefferson ou Jean-Pierre Zanella, le guitariste Reg Schwager et autres professionnels de renom.

Très à l'aise sur scène, Emilie-Claire s'est exprimée surtout en français  pour présenter son répertoire, au grand plaisir de ses fans majoritairement francophones. Malgré de petites maladresses linguistiques,   elle a mis son public dans sa poche.  Et, surtout, elle a réussi son pari symphonique.

Roy Hargrove Quintet: bebop et soul à l'Upstairs

Il fut une époque où toutes les pointures du jazz se produisaient dans des clubs de petite taille.   Ce n'est plus le cas depuis des lustres, mais...  des miracles se produisent régulièrement à l'Upsairs, c'est-à-dire qu'on y invite des vedettes comme le trompettiste Roy Hargrove en formule quintette. Hier soit, on se serait cru dans une cave des années 50, avec pour première pièce au programme Scrapple From The Apple, incontournable standard bebop de Charlie Parker.

Roy Hargrove fut très actif pendant une vingtaine d'années. À titre de leader, il n'a cessé d'enregistrer des albums de 1990 à 2009, avant de se retirer partiellement du circuit et ne faire que des prestations en chair et en os. Ce qu'on a entendu hier était essentiellement et exclusivement hard bop, jazz moderne tel que joué et conçu à son âge d'or, soit de la fin des années 40 au début des années 60 -  sauf quelque petites parenthèses  comme un thème des Bee Gees et une longue conclusion jazzy soul non sans rappeler les arrangements qu'il a signés pour D'Angelo.

D'excellents musiciens accompagnaient le trompettiste, on retiendra surtout le jeu du saxophoniste new-yorkais Justin Robinson, très parkerien d'approche avec une touche de Jackie McLean, ainsi que du pianiste louisianais Fortner Sullivan. Rien de mémorable en cette fin de 6 juillet, mais... la vraie affaire.

Alexandra Streliski: la vie en... pianoscope

Au Balcon, une salle de l'église St.James United a été transformée en café-bar pour le FIJM. On peut y voir la vie (et entendre la musique) en... pianoscope. Pianoscope, en fait, est le titre d'un album signé Alexandra Streliski, pianiste et compositrice invitée à se produire seule devant public, comme sa musique le prévoit.

En 2016, l'intérêt pour ce type de piano solo est de nouveau renouvelé comme il le fut une décennie plus tôt lorsque Gonzales avait sorti Pianovision.  Indémodable? Plusieurs trames sonores de films contemporains ont accueilli ces musiques de piano ayant pris forme un siècle plus tôt, à l'aube de la modernité.  Erik Satie et les ambiances de la Belle Époque viennent en tête, mais le Pianoscope d'Alexandra Streliski  ne s'y colle pas autant que Gonzales. Certaines constructions harmoniques rappellent aussi la chanson française des années 50, 60 et 70, un peu de Claude Léveillé par-ci, un peu de Pierre Brabant par là, un peu d'Anne Sylvestre par là-bas... 

Au fil de cette heure passée avec la compositrice et interprète de son oeuvre, on s'approche du temps récent.Je pense ici aux musiques consonantes et minimalistes de Philip Glass, à celles aussi de Michael Nyman, deux piliers desquels Alexandra puise une part de son inspiration. Alors? À l'évidence, cet amalgame pianistique a plu à l'auditoire venu à sa rencontre. 

Pour la suite des choses? Souhaitons-lui que ces matériaux et d'autres sources lui permettent de singulariser davantage son approche compositionelle et se démarquer vraiment, au-delà des musiques qui soutiennent l'image et plaisent au public de la chanson. C'est déjà pas mal, remarquez.

Photo fournie par Alain Mercier

Roy Hargrove

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Alexandra Streliski