Mark Guiliana avait ravi ses fans montréalais, l'an dernier. Hormis ses participations aux formations des guitaristes Nir Felder et Lionel Loueke, Beat Music fut la musique la plus inspirée des trois soirées où il était inscrit au programme, en l'occurrence, celle de son propre groupe. Présage à son retour au FIJM, cette fois aux côtés du célébrissime Brad Mehldau dans le cadre d'un duo à forte teneur électronique: Mehliana, fusion de leurs noms de famille, comme on le devine.

Si Brad s'est mis sérieusement aux synthétiseurs et autres compléments électroniques, c'est en bonne partie grâce à Mark Guiliana, un des meilleurs batteurs de New York, de surcroît compositeur et parmi les leaders esthétiques d'un jazz qui a cruellement besoin de visionnaires. Voilà qui justifie amplement cette conversation téléphonique.

«Je suis très enthousiaste en ce qui a trait à ce projet avec Brad. Je suis fan de sa musique depuis longtemps, nous sommes de bons amis. Il y a cinq ou six ans, il s'était d'abord familiarisé avec les versions préliminaires de mon groupe Beat Music, nous avons ensuite pensé à une collaboration. Ce contexte électronique l'intéressait; il jouerait plusieurs claviers, dont le Moog, qui joue le rôle de la basse. Pour lui, cela représente un défi intéressant, car il exprime généralement sa musique avec des instruments acoustiques. Au début de cette année, nous avons ainsi lancé l'album Taming the Dragon, créé au terme d'une tournée européenne en mars 2013.»

Retour aux sources

Mark Guiliana se démarque sur la planète jazz, car il est en phase avec la période actuelle en musique. L'intérêt qu'il porte sur la lutherie électronique, qu'elle soit analogique (multiples claviers revenus à la mode) ou numérique (échantillonneurs, filtres, etc.), est crucial en ce sens.

«J'avoue écouter surtout la musique électronique des années 90, Aphex Twin, Squarepusher, Autechre, Photek, Luke Vibert, enfin les grands créateurs électros issus de cette période. Je retourne sans cesse à eux, car les technologies ont beaucoup changé depuis. En fait, il m'apparaît inspirant de savoir que ces musiques n'ont pas été composées exclusivement avec des logiciels.»

On peut comprendre cette valeur mise de l'avant par Guiliana, car le jazz se fonde d'abord sur un rapport physique et virtuose entre musiciens, aussi sur l'usage des instruments qui en constituent la lutherie classique.

«Je trouve aussi fascinant que la musique électronique soit généralement conçue par une seule personne. Ça m'inspire à reprendre une démarche relativement voisine, mais avec un groupe de musiciens. En ce sens, je souhaite la fusion des mentalités jazz et électro. Ma musique demeure fondée sur le jeu et le moment présent. Pour ce faire, je tiens à m'entourer de musiciens qui partagent beaucoup d'influences. Cela se passe dans l'intuition, nous n'avons pas de discussions préalables sur les formes.»

Milieux souterrains

Autoproduits et lancés sur sa propre étiquette, deux nouveaux albums de Mark Guiliana seront rendus publics à la fin de l'été et mettront en relief ses nouvelles pratiques.

«Il y a cette version californienne de Beat Music, avec batterie, claviers, lutherie électronique et le bassiste Tim Lefebvre qui était avec moi à Montréal l'an dernier et qui est pour moi un véritable mentor en matière de musique électronique. Nous avions joué quelques fois en public pour ensuite improviser en studio de Los Angeles pendant une journée entière. J'ai rapporté le matériel à New York pour ensuite choisir les segments qui me semblaient les plus réussis.

«Plus composé, le second album à venir repose sur une instrumentation comprenant batterie, basse, guitares et claviers, et met en relief des commandes passées aux auteurs, compositeurs et interprètes Meshell Ndegéocello, Jeff Taylor et Gretchen Parlato.»

En raison sa collaboration avec Brad Mehldau, Mark Guiliana pourrait sortir définitivement de l'underground jazzistique. Or, il ne semble pas y tenir mordicus! Il préfère tourner avec Beat Music, avec le chanteur Theo Bleckmann, le groupe Now Vs Now de Jason Lidner ou encore celui du saxophoniste Donny McCaslin.

«Aujourd'hui, soutient-il, mon jazz préféré provient de milieux souterrains qui ne sont pas orientés vers la gloire et la réussite financière. Et... lorsqu'elle est valable, la musique finit toujours par remonter à la surface.»

Mehliana, nouveau projet de Mark Guiliana et Brad Mehldau, est présenté ce soir, 21h, à L'Astral.