Alain Caron, sans contredit le bassiste québécois le plus célèbre sur la planète jazz (et sur la planète tout court), remporte une deuxième fois le Prix Oscar-Peterson, remis annuellement à un musicien de jazz canadien pour l'ensemble de son oeuvre et sa contribution à la discipline.

Le prix lui sera remis ce mercredi, soit le jour même de la prestation de son groupe au Festival international de jazz de Montréal.

«Je ne peux éviter de le souligner: je suis très honoré par cette remise, c'est toujours très valorisant d'être reconnu chez soi. Je ne m'y attendais vraiment pas étant donné qu'Uzeb l'avait reçu en 1991. Je ne pensais donc pas qu'on aurait l'idée de me le remettre.  Bien sûr, j'ai continué depuis à faire exclusivement que du jazz...» dixit Alain Caron, joint plus tôt cette semaine.

Contrairement à ses collègues d'Uzeb qui ont diversifié leurs opérations musicales (trames de films, musiques d'événement, accompagnement pop, etc.) après la mort du groupe, le superbassiste a maintenu le cap sur le jazz. Son propre groupe est en quelque sorte un prolongement de cet âge d'or du jazz-fusion où Uzeb se taillait une réputation internationale. Le superbassiste a aujourd'hui 58 ans et... ne prévoit certes pas changer de direction.

«Il faut non seulement répéter mais aussi penser jazz, comme le disait le saxophoniste Branford Marsalis lorsqu'il a décidé de quitter son poste de directeur musical au Tonight Show de Jay Leno. Cela dit,  je comprends que le jazz ne puisse être exercé toute un vie. Devenus pères de famille, des musiciens de jazz doivent aussi amener de la nourriture sur la table et faire des concessions pour leur enfants», fait observer notre «hommagé».

«À moins de l'enseigner, renchérit-il, on ne peut vivre du jazz à Montréal. N'ayant pas d'enfants, j'ai eu le luxe de m'y consacrer. Ainsi, j'ai passé pas mal de temps à New York. Je m'y suis lié d'amitié avec plusieurs musiciens, ce qui m'a permis de faire de la tournée internationale, de me faire connaître dans d'autres pays que la France et la Suisse où Uzeb avait déjà beaucoup de fans. Du coup, j'ai pu rencontrer des agents qui m'ont permis de tourner avec mon propre groupe. Aujourd'hui je tourne un peu moins, j'ai le luxe de choisir davantage. Je pars sur des périodes plus courtes, rarement plus que deux semaines à la fois. Sur toute l'année? Ça fait environ quatre mois. Je suis un peu tanné de prendre l'avion mais bon... il y a pire dans la vie!»

Après avoir vécu à Paris et New York dans les années 90, Alain Caron a préféré rentrer à Montréal, une capitale «plus relaxe, entre l'Amérique et l'Europe»... et d'où il peut rayonner à l'étranger.

«Au Québec, soulève-t-il, peu de gens savent que je tourne avec plusieurs ensembles. On sait que j'ai tourné beaucoup avec le guitariste Mike Stern et le violoniste Didier Lockwood, on sait moins que je fais partie de deux trios en plus de mon groupe : l'un avec le guitariste Frank Gambale et le pianiste Otmaro Ruiz, un autre avec le pianiste Fahir Atakoglu et le batteur Horacio Hernandez. On aurait voulu présenter ce dernier au festival de Montréal, mais on a privilégié mon ensemble, puisque j'y joue à tous les deux ans.»

Quant à son groupe, dont l'album Multiples Faces vient tout juste d'être lancé, il en est très fier et ne se fait pas prier pour en présenter les membres:

«Le Français Damien Schmitt est un batteur monstrueux! Il a cette culture des machines que plusieurs percussionnistes n'ont pas. D'une habileté incroyable!»

«Pierre Côté, qui est installé à Granby, est un trésor caché de la musique québécoise. Il est un artiste minutieux, il a le souci du détail. Il a toujours travaillé le langage du jazz et s'est penché attentivement sur plusieurs musiques - dont la country. Il se concentre sur le jazz depuis quelques années.

«John Roney est l'un des meilleurs pianistes et claviéristes à Montréal. Il a de solides bases classiques, s'intéresse à diverses musiques contemporaines, il est très ouvert. Lorsqu'il s'est retrouvé dans mon groupe, il s'est étonné de la difficulté à en jouer la musique. Il est aujourd'hui très heureux de relever ce défi.»

On sait qu'Alain Caron garde le cap... et comment comment garde-t-il la forme ?

«Tel un athlète, un instrumentiste doit effectuer quotidiennement ses routines afin que les muscles restent souples et alertes. Comme je fais beaucoup de sport, c'est une réalité physique que j'ai comprise - beaucoup de course à pied, beaucoup de vélo. Lorsque je ne suis pas en tournée, je ne fais pas que de la technique : j'essaie de développer mon langage, je continue à étudier beaucoup de choses, à travailler arrangements et compositions. Je m'y consacre même davantage qu'à mon instrument. La technique, je l'ai développée au maximum de mes possibilités, je m'améliore désormais dans la fluidité du langage, dans la matière, dans ce qu'il y a à dire.»

«Car un musicien de jazz doit avoir des choses à dire.»

Le groupe d'Alain Caron se produit ce mercredi, 22h30, au Gesù.