Jasper Hoiby, Ivo Neame, Anton Eger. Contrebasse, piano, batterie. Danemark, Angleterre, Suède. Phronesis révèle un jazz septentrional, jazz de mer du Nord. Il s'est produit en 2010 sur une scène extérieure du FIJM, s'est fait remarquer par les jazzophiles et les programmateurs, assez pour que ces derniers se risquent à présenter le trio en salle. Nous y voilà.

D'abord un coup de téléphone à Londres, là où résident le pianiste Ivo Neame et le contrebassiste Jasper Hoiby. Ce dernier est au bout du (sans) fil. Se prête courtoisement à une genèse rapide de Phronesis.

« Ivo et moi nous sommes connus à Londres, à la Royal Academy of Music. J'avais alors quitté Copenhague pour y étudier. Après les études, je suis rentré quelque temps au Danemark, mais j'ai eu tôt fait de retourner en Angleterre. J'y suis retourné parce que mes collègues musiciens et mes amis proches s'y trouvaient majoritairement, et j'y suis toujours. La scène jazz y est particulièrement vivante, je m'y plais beaucoup. Je trouve d'ailleurs amusant d'être associé à cette renaissance du jazz britannique ! »

Le batteur Anton Eger, indique son collègue scandinave, vit à Copenhague, bien qu'il soit Suédois. À en perdre son danois ! On s'entend pour la nordicité ? « C'est difficile à expliquer, admet Jasper Hoiby, mais il y a effectivement une sensibilité nordique dans ce que nous faisons. Toutefois, je dois dire que ma première passion pour le jazz remonte à l'écoute d'un album de Chick Corea, enregistré alors qu'il débutait : Now He Sings, Now He Sobs. Ce fut un album crucial pour Ivo et moi, un déclencheur, nous en sommes encore profondément marqués. »

Trio, donc.

« Je suppose que nous sommes tributaires de cette vague de trios lancée par Brad Mehldau, mais... le trio est un véhicule privilégié pour tant de jeunes instrumentistes acoustiques. Cela représente un point de départ pour plusieurs amateurs de musique qui s'initient au jazz. Le son est cohérent, on peut en distinguer aisément les instruments. Et c'est beaucoup plus facile d'en assurer la logistique qu'avec de plus grands ensembles ! » Inspiré de la philosophie de la Grèce antique, le terme « phronesis » ne signifie-t-il pas « sagesse pratique » ?

La tarte du jazz

Le trio a déjà quatre albums à son actif. Walking Dark, le plus récent (étiquette Edition Records), a récolté d'excellentes critiques en Europe. Fruit d'un dur labeur, estime notre interviewé.

« Nous avons ramé, travaillé très fort avant que ça fonctionne vraiment. Nous avons construit lentement notre auditoire, nous avons dû faire face à une concurrence féroce. La tarte du jazz est si petite à partager : l'argent est rare, il est très difficile d'attirer le public et les professionnels de l'industrie. En revanche, la musique se porte très bien. Aujourd'hui, en tout cas, nous ne pouvons pas nous plaindre. Nous avons tellement de chances de jouer partout dans le monde, surtout en Europe et en Amérique. »

Contrairement à tant de jeunes musiciens de la mouvance jazzistique qui tentent de transposer une esthétique rock/pop/indie dans leur contexte de musique improvisée, ceux de Phronesis tiennent à leur identité... jazz.

« Nous restons proches de la forme classique et essayons de nous épanouir dans ce contexte. Nous ne nous considérons pas comme classiques pour autant. Absolument pas ! Car ce trio est fondé d'abord sur le groove, un groove inspiré de musiques populaires (particulièrement le hip-hop) auquel on associe une approche très mélodique. »

Autre caractéristique fondamentale de Phronesis : l'égalité des interventions.

« Ce trio n'est pas au service de son pianiste, martèle son contrebassiste. L'accent est mis sur chacun des instruments. Chacun d'entre nous a la même importance, chacun a ses moments privilégiés. Nous discutons régulièrement de cette égalité à maintenir, d'ailleurs. En fait, l'expression individuelle y est moins importante que le son collectif. Nous privilégions cet acte d'humilité, nous estimons que ça nous élève en tant qu'êtres humains. C'est donc un acte conscient et un objectif commun. Cet exercice démocratique, d'ailleurs, nous distingue de la majorité des trios de jazz. »

Phronesis... Démocratie... Trio. Un autre concept de la Grèce antique ?

Phronesis se produit ce soir, 21 h, à L'Astral.