Comment qualifier l'approche de Walking Shadows? Jazz de chambre?

Joshua Redman hésite... et adopte un ton moqueur: «Euh... Il s'agit d'un album de ballades avec cordes!»

Rire narquois au téléphone. Joint à son domicile californien, le saxophoniste retrouve son sérieux et explique la matière de cet album (étiquette Nonesuch) qui sera jouée à la Maison symphonique. Album réalisé par nul autre que le pianiste Brad Mehldau.

«Brad et moi travaillons depuis une vingtaine d'années, rappelle le musicien. Nous avons surtout joué ensemble au milieu des années 90, moins souvent par la suite, du moins jusqu'à une période récente - j'ai participé à son album Highway Rider, nous avons donné des concerts en duo. Comme plusieurs, je crois qu'il est un des plus grands artistes de notre époque. Notre lien professionnel est très solide, et il est l'un de mes meilleurs amis.»

Joshua raconte qu'il avait d'abord confié à Brad son désir d'enregistrer un album de ballades avec fastes arrangements.

«Je voulais que quelqu'un d'autre que moi réalise cet album. Quelqu'un en qui j'ai confiance. Quelqu'un ayant une connaissance profonde du jazz et de la musique de chambre. Qui pourrait écrire des arrangements en plus de savoir intégrer une petite formation de jazz dans ce contexte. Pour mener à bien cette opération, Brad était le candidat idéal.»

Joie et satisfaction

Le fameux pianiste a accepté il y a trois ans.

«Nous avons longuement discuté des façons d'y parvenir; le répertoire, l'instrumentation, le style des arrangements... Vint le temps d'enregistrer, ce fut en septembre dernier. Great experience! Vous savez, je ne peux supporter de réécouter mes albums, je deviens trop critique. Alors que celui-ci, je peux encore le tolérer! [Rires] En tout cas, je suis très heureux d'avoir pu dévoiler cette facette de mon jeu. Et j'éprouve énormément de joie et de satisfaction à en interpréter les pièces sur scène.»

Au programme de Walking Shadows, standards du Great American Songbook, mais aussi des Beatles ou même de Blonde Redhead, originales de Brad et Joshua, adaptation de Bach, etc. «Ce choix n'est pas un éditorial, prévient le principal intéressé. Aujourd'hui, il est devenu presque normal de choisir des chansons d'époques récentes et d'en faire du jazz. Pour ce projet, tant de chansons ont été prises en considération... Brad cherchait du matériel original et créatif, avec lequel je ferais corps. La qualité de l'amalgame, la cohésion de toute cette variété de chansons importait davantage que leurs sources et l'époque de leur composition.»

Improvisations

Hormis Brad Mehldau, Dan Coleman et Patrick Zimmerli ont arrangé les chansons de Walking Shadows.

«Leur écriture est certes très moderne, mais ces musiciens n'ont pas peur du passé. Ni de suggérer un peu de nostalgie, car un album de ballades accompagne des souvenirs, peut suggérer une certaine mélancolie. Personnellement, je ne m'inquiète pas de ma propre modernité, car l'improvisation est moderne en soi. Quels que soient le contexte ou le répertoire ou les harmonies, les musiciens de jazz trouvent le moyen de créer quelque chose de neuf au moment présent. Je ne me prends donc pas la tête à vouloir être absolument actuel. Je me préoccupe plutôt de la qualité de l'expression. De sa pureté, son honnêteté, sa créativité.»

Sur scène, le personnel de Walking Shadows s'annonce différent de celui de l'album: Aaron Goldberg, piano, Reuben Rogers, contrebasse, Gregory Hutchinson, batterie. «Nous avons tourné ensemble pendant quatre ans et nous repartons de plus belle. Ces musiciens sont polyvalents, sensibles, pleins d'âme et d'intelligence. Fantastiques!»

Grand succès

Présentée le 29 juin prochain à la Maison symphonique, la musique de Walking Shadows n'a été jouée qu'une seule fois, soit ce printemps au Town Hall de Manhattan. Le quartette de Joshua Redman était accompagné par The Knights, jeune orchestre de chambre de New York.

«Le concert a été un grand succès malgré le peu de temps de préparation. À Montréal, nous travaillerons avec des musiciens locaux et tenterons de répéter l'exploit.» Réunis par Philippe Dunnegan, les musiciens seront dirigés par Dan Coleman.

Avec ou sans faste orchestral, une ballade n'est pas aussi facile à interpréter, rappelle l'interviewé en guise de conclusion.

«Dire qu'on ne peut bien jouer une ballade avant d'avoir un certain vécu, c'est un cliché... qui n'est pas loin de la vérité. J'ai joué des ballades toute ma vie, mais je ne me sentais pas prêt à en enregistrer un album entier... jusqu'à récemment!»

Joshua Redman se produit à la Maison symphonique le samedi 29 juin, à 19 h.