Renaud Garcia-Fons se passe désormais de présentations. Sa contrebasse à cinq cordes est désormais un classique, celui qui la triture est l'un des plus éminents instrumentistes sur terre. Le meilleur? D'autres contrebassistes ont élevé le jeu très haut : Niels Henning Osted Pederson, Christian McBride, Miroslav Vitous, Stanley Clarke, Avery Sharpe, Charnett Moffett... personne ne manie à la fois le pizzicato (cordes pincées) et l'arco (l'archet).  Personne ne peut faire rebondir l'archet sur les cordes et reproduire les salves de la guitare flamenca. Personne ne peut manier aussi précisément cet instrument à des vitesses phénoménales comme le fait Renaud  Garcia-Fons. Dans l'univers connu, aucun contrebassiste improvisateur n'a atteint ce niveau. Au-cun.

Cela étant dit, sa musique est-elle à la hauteur de son jeu? Inspirée de l'enregistrement public The Marcevol Concert,  la première partie du concert présenté samedi à la Maison symphonique de Montréal nous donne quelques indications supplémentaires, avec ce diagnostic : oui, il y a décalage entre l'instrumentiste fabuleux qu'est Garcia-Fons et ses compositions originales. Décalage infiniment moins marqué que ceux observés chez Stanley Clarke et Victor Wooten mais... les musiques du musicien français demeurent un faire-valoir de son jeu hallucinant. Particulièrement en solo, ces explorations méditerranéennes, espagnoles, catalanes, mauresques, persanes, burundaises ou maghrébines témoignent d'un goût certain, mais demeurent des folklores actualisés, musiques instrumentales d'accès facile et... essentiellement au service de cette extraordinaire contrebasse à cinq cordes et de son magicien. Idem pour l'usage de boucles (enregistrements de motifs en direct au-dessus desquels l'instrumentiste improvise) ou de séquences pré-enregistrées (quelquefois discutables).

Renaud Garcia-Fons peut toutefois se mettre en retrait et jouer le rôle qui lui revient dans une formation à plusieurs musiciens. Aux côtés du pianiste David Pena Dorantes, du percussionniste Nano Pena, et de Theodisii Spassov Iordanov, spécialiste du kaval (flûte oblique jouée dans les Balkans), Garcia-Fons peut faire preuve de sobriété et partager le menu avec ses frères musiciens. Comme le musicien français d'origine catalane, ses frères espagnols et bulgares partagent un héritage oriental ayant marqué leur propre patrimoine musical. Ottoman chez Iordanov, mauresque chez les autres.

Rencontre très relevée dans ses propositions harmoniques, mélodiques ou rythmiques, superbe échange de cultures. Seul au piano, Dorantes a fait la transition entre la partie solo de Garcia-Fons et la séquence à quatre. Force était d'observer que Dorantes fait plus qu'une légère jazzification du flamenco, une forme assez limitée sur le plan harmonique qu'il étoffe considérablement en plus de la faire migrer des cordes aux ivoires. De sa perspective bulgare, Theodisii Spassov Iordanov dépasse largement le jeu traditionnel de son instrument traditionnel, il le plonge dans un bouillon frémissant de culture contemporaine et s'adapte fort bien à la proéminence ibérique de ses collègues. Quant aux percussions de Nano Pena, elles sont une actualisation de la tradition flamenca fondée sur les pas de danse, le battement des mains et le cajon qui fait partie de son attirail - caisse claire, cymbales, jeu de balais, etc.