Pour qui aime profondément le jazz moderne, c'est-à-dire une esthétique fondée sur un hardbop perfectionné dans les détails les plus infimes de la forme, Tom Harrell figure au pinacle des propositions formulées aujourd'hui sur la planète jazz.

Jeudi, en tout cas, le premier des quatre concerts présentés  à l'Upstairs par le trompettiste et bugliste américain en fut une démonstration plus qu'éloquente. Wow! Voilà, comme prévu, un des sommets jazzistiques atteints au FIJM en 2012.

Pour la puissance, l'exactitude, l'originalité et la complexité du phrasé, pour la beauté du son, pour son allégeance au jazz moderne (par exemple, Si Si de Charlie Parker figurait au programme), Tom Harrell est sans contredit l'un des grands maîtres vivants de ce patrimoine... vivant.

Inutile de souligner que l'homme de 66 ans ne se produit pas avec n'importe qui. Dans un cadre orchestral sans instrument harmonique, il doit faire appel à une très puissante section rythmique. On aurait bien aimé entendre son batteur régulier, le très doué Jonathan Blake, mais le vétéran Billy Drummond fait ici amplement l'affaire aux côtés du contrebassiste Ugonna Okegwo (très bel échange trompette-contrebasse soit dit en passant). Quant aux contrepoints mélodiques à deux voix, ils sont partagés avec l'excellent saxophoniste ténor Wayne Escoffery, un autre de ces jeunes loups ayant atteint l'âge adulte de la renommée internationale - robustesse du son, articulation, vélocité, bref le niveau nécessaire aux exigences énormes de Tom Harrell. Bref, un quartette fort bien soudé pour l'occasion.

Entre chacune de ses interventions instrumentales, le leader vêtu de noir baisse la tête et demeure immobile, jusqu'à ce que se produise le miracle musique. Bien sûr, on ne peut nier que la santé mentale de Tom Harrell (schizophrène paranoïde sous forte médication, ce qui le rend fonctionnel, fort heureusement) est une caractéristique très touchante qui fait minimale ment partie de la perception qu'on a de sa musique.

Musique qui n'en demeure pas moins autonome pour sa suprême élégance, son indiscutable virtuosité, sa recherche texturale exceptionnelle à la trompette comme au bugle.

Dans le même ordre d'idées, rappelons que d'excellents artistes locaux abordent aussi le jazz moderne comme on joue les grandes oeuvres classiques. Le trompettiste, leader et arrangeur montréalais Joe Sullivan en est un bel exemple qu'on a pu observer à l'Astral samedi dernier : aux côtés du guitariste invité Lorne Losky (from Toronto) et ses collègues montréalais (André Leroux, André White, Jean Fréchette, Dave Laing, Alec Walkington), Sullivan abordait l'âge d'or du jazz moderne d'une manière comparable à celle de Tom Harrell.