Hier soir, près de 2000 spectateurs sont entrés dans la très belle Maison symphonique de Montréal et ont été transportés ailleurs par Harry Manx et ses trois complices.

Où exactement? Ailleurs. Dans ce lieu indéfinissable où peut nous emmener la musique quand elle est servie par des gens qui ont du talent et de l'imagination.

La Tijuana de J.J. Cale se situait quelque part entre le Mexique et l'Inde, transportée par la voix en liberté de la chanteuse Kiran Ahluwalia et la slide de Manx. Le chant mystique soufi Mustt, Mustt avait quitté le Pakistan pour atterrir à Montréal sous la forme d'une chanson quasi dansante aux mots mystérieux que les quatre comparses chantaient à l'unisson comme si c'était leur langue maternelle.

C'était le plus vibrant éloge de la différence dans l'unité qu'on puisse imaginer. Yeshe le percussionniste allemand établi en Australie, qui chante La ballade de Jean Batailleur d'un Cajun de la Louisiane avec un piano à pouces africain; Kiran, la chanteuse indienne élevée à Toronto et vivant à New York, qui fait des namaste à ses trois copains et tangue sur un solo de piano jazzé; Clayton Dooley, l'organiste australien aux airs de chérubin à côté des deux vieux routiers, et qui vit la moitié du temps à Toronto; enfin, Harry le troubadour, le rassembleur de tout ce beau monde qui a encore plus voyagé qu'Ulysse avant de s'établir dans une île de la Colombie-Britannique dont il est toujours parti pour répandre sa bonne nouvelle musicale.

Essayez d'imaginer ces êtres dépareillés qui chantent ensemble A Love Supreme de John Coltrane dans une version où le piano jazzé de l'excellent Dooley sert de tremplin à un métissage musical indéfinissable et vous n'aurez que l'ombre du début d'une idée du caractère unique de cette fête de la musique.

Le pince-sans-rire

Tour à tour, chacun des quatre associés s'est mis en évidence, expliquant le comment et le pourquoi de sa pièce musicale ou, comme l'ont fait Manx et Yeshe, la provenance et le mode d'emploi de leurs instruments exotiques. Tout cela aurait pu faire savant et empesé sans le plaisir tangible et l'humour de la dame et des trois messieurs. Surtout Manx le pince-sans-rire qui, en accordant sa mohan veena, sorte d'hybride à 20 cordes d'une guitare et d'un sitar, a dit: «Avez-vous remarqué qu'avec la musique indienne, on ne sait jamais quand le musicien finit de s'accorder et quand la chanson commence?»

Quand il s'est trompé d'instrument en début de spectacle, Manx a lancé qu'il n'aurait pas dû prendre de l'acide. C'était une blague, évidemment: l'acide, c'est l'éclairagiste qui l'avait tout pris, lui qui semblait tout mêlé dans ses pitons aux moments les plus inopportuns.

Ce ne fut heureusement qu'un tout petit bémol dans cette soirée magnifique. Avec un peu de chance, peut-être ce concert World Affairs repassera-t-il par Montréal en 2013. Mais ça ne sera pas tout à fait pareil à ce qu'on a vu et entendu hier.