De toute évidence, la musique de Tord Gustavsen génère un rayonnement supérieur à la moyenne jazzistique.

L'écoute de ses albums (trio, quartette...) et une présence à nombre de ses concerts permettent d'en témoigner. Ce musicien norvégien a conquis un public fidèle, cette cohorte n'a certes pas fini de croître, du moins si l'on s'en tient à l'atmosphère ressentie mercredi au Gesù. Admiration et ferveur pouvaient y être tranchées en fines lamelles.

Tord Gustavsen a-t-il réfléchi à son art pour obtenir un tel succès? Fournies en interview, les réponses du pianiste permettent de le croire. Consciemment ou non, il souscrit au fondement suivant: la musique est au service de l'émotion et de l'élévation, non sans rappeler les inscriptions de l'imaginaire. Repères mélodiques, éléments de folklore et de musique religieuse, cette version soft d'un univers connu dans lequel nous plonge Manfred Eicher (et son label ECM) depuis les années 70, voilà autant d'éléments constitutifs de l'ascendant qu'exerce la musique de Gustavsen.

La simplicité de la facture y est certes pour quelque chose: techniquement, cette musique est relativement facile à jouer. La question vient à l'esprit: le leader et ses musiciens pourraient-ils jouer des oeuvres plus difficiles sur le plan de l'interprétation? Permettons-nous d'en douter. Ainsi, on peut comprendre les jazzophiles plus connaisseurs qui y voient une zone de transition. Sorte de phase  initiatique pour mélomanes plus éclectiques, férus de mélodies poignantes, de placidité harmonique... et encore rébarbatifs à un jazz plus anguleux, plus complexe.

Les mauvaises langues pourraient qualifier le jeu pianistique de Gustavsen de Jarrett au ralenti mais bon, il faut alors leur rappeler que l'expression sensible l'emporte toujours sur les outils qui permettent d'y parvenir.  Il faut aussi leur rappeler que les meilleures idées viennent parfois de musiciens limités techniquement.

Parce qu'ils ont saisi leurs carences et consacré leur énergie à la force conceptuelle, à la créativité, l'élégance, le goût, des musiciens de la trempe de Gustavsen ont développé une esthétique et un jeu qui leur sont propres et dont la valeur est souvent supérieure à celle de virtuoses sans imagination. Je pense notamment à ce concert sous la gouverne du superbassiste Victor Wooten, présenté au Club Soda, dimanche dernier avec une tribu de virtuoses bassistes reconvertis à d'autres instruments pour une tournée: festival de la faute de goût, absence totale de subtilité et de finesse, manque flagrant de créativité au-delà des performances individuelles.

Dans le cas de Tord Gustavsen, du saxophoniste Tore Brunborg, du batteur Jarle Vespetad, du batteur Mats Eilertsen, on est sur une autre planète. Cet ensemble cohésif ne passera pas à l'histoire pour l'éloquence de ses participants, il n'y a pas lieu non plus lieu de faire dans le dithyrambe à l'écoute de ce travail, on peut néanmoins souligner qu'il y a dans cette musique la profondeur d'une véritable quête.