Mari et femme partagent parfois la scène. Parfois pour le pire: faire mousser la partie faible du couple sur le plan artistique. Parfois pour le meilleur: deux êtres de valeur équivalente y prolongent leur lien conjugal. Les cas de Renee Rosness et Bill Charlap, Rebecca Martin et Larry Grenadier, s'inscrivent sans contredit dans la seconde catégorie.

Lundi soir, le premier couple new-yorkais se retrouvait sur la scène d'un Gesù rempli aux deux-tiers environ. Étrange choix de programmation, d'ailleurs, que de présenter un concept à deux pianos en fin de soirée, plus propice à un jazz... hot. Dommage, car ce fut très bon.

Y ont défilé en toute élégance Never Will I Marry (Frank Loesser), Inner Urge (Joe Henderson), My Man Is Gone (George Gershwin), Showtime Tune (Bill Evans), Choveno Na Roseira (Tom Jobim), Relaxin' At Camarillo (Charlie Parker), Ana Maria (Wayne Shorter), The Saros Cycles (Renee Rosnes), The Last Time I Saw Paris (Kern & Hammerstein), Chorinho (Lyle Mays façon Chick Corea), Little Glory (Gerry Mulligan). Bref, surtout le contenu de cet album très agréable des deux pianistes, Double Portrait sous étiquette Blue Note.

Complémentarité de deux interprètes très différents, tous deux de très haut niveau, avons-nous noté une fois de plus à leur écoute. Rene Rosness a l'attaque de ses petites mains: délicate, pas très puissante mais parfaite. Mains gauche et droit parfaites en haute vitesse, ça ne ment pas. Technique superbe, profondeur harmonique, style actualisé, capacité de s'ajuster au présent. Bill Charlap, lui, est un esprit plus conservateur, ce qui n'en amoindrit aucunement l'approche: il est l'un des plus rigoureux gardiens du swing pianistique, cet art devenu classique et dont les praticiens de ce niveau se font de plus en plus rares. Voilà, somme toute, un moment plus qu'agréable passé à l'écoute de ce couple charmant, visiblement heureux.

Mardi soir à l'Upstairs, un autre tandem s'exprimait tout autrement. Guitare acoustique en bandoulière, la chanteuse Rebecca Martin s'est présentée aux côtés de son illustre mari, l'excellent contrebassiste Larry Grenadier - qu'on connaît surtout pour sa participation au fameux trio de Brad Mehldau.

Dans les cercles jazzistiques new-yorkais, la chanteuse jouit d'un succès d'estime. Côté critique, sa cote n'a cessé de monter au fil des dernières années, et pour cause. À Montréal, cependant, elle demeure un  secret... qu'on ne gardera pas pour soi. Comptez sur moi!

Le grain de cette voix, ces doux éraillements, ces superbes alternances entre voix de tête et voix de corps, cette façon de phraser, ce timbre des plus singuliers, voilà autant d'arguments pour aller plus loin dans le monde de Rebecca Martin, artiste originaire du Maine et dont les racines francophones représentent un souvenir lointain - selon les confidences de la principale intéressée.

Une petite heure à l'écoute de la chanteuse, dont le mari célébrissime sert discrètement et sûrement le propos dans le cas qui nous occupe, et nous voilà au-delà de son plus récent album When I Was Long Ago sous étiquette Sunnyside (2010) ou encore de son excellent People Behave Like Ballads, sous MaxJazz (2004).

Grosso modo, le répertoire de Rebecca Martin témoigne d'un choix circonspect de standards (Lush Life de Billy Strayhorn, Sophisticated Lady de Duke Ellington, Willow Weep For me d'Ann Ronell, etc.) et de compositions  originales (Beyond the Hillside, etc.).  En résulte une sorte de folk jazz qui fera son bout chemin entre nos hémisphères.

Photo: fournie par le Festival de jazz de Montréal

Bill Charlap et Renee Rosness