Pourquoi le pianiste Tord Gustavsen, 41 ans, exerce-t-il un tel ascendant sur tant de mélomanes? Pourquoi s'apprête-t-il à remplir quatre Gesù d'affilée dans le cadre de la série Invitation du Festival international de jazz de Montréal (FIJM), dont il est le second artiste en résidence? Fournies en direct d'Oslo, les pistes de réponses pourraient nous éclairer davantage sur ce jazzman reconnu partout en Europe et dans le monde - et très aimé de moult festivaliers de Montréal.

D'une voix douce, agréable et posée, une voix qui n'est pas sans rappeler sa musique, Gustavsen esquisse un premier élément de réponse.

«J'ose croire que notre révolution est introvertie, délicate, ténue. Il s'agit pourtant d'une approche draconienne: mes musiciens et moi essayons de faire découvrir la beauté d'une pièce de jazz dans toute sa nudité. Dans sa crudité. Sans enrobage, sans sucre. Humblement, honnêtement. Cette esthétique régit notre interaction et la facture de notre jeu. C'est ce que je m'applique à faire depuis mes débuts.»

Selon le pianiste, il s'agit donc de dévêtir la musique jusqu'à en trouver la note essentielle, celle qui décrit le mieux l'émotion à exprimer, plutôt que de choisir la démonstration d'un savoir-faire technique.

Teneur lyrique

Le musicien insiste aussi sur cette dualité: «Dans notre musique, il y a un lien fondamental entre la liberté d'improviser au moment présent et la teneur lyrique des compositions. Ainsi, nous sommes autant mobilisés par la mélodie que l'est un groupe pop. Simultanément, nous recherchons la liberté, comme les musiciens la recherchent au sein d'un ensemble de free jazz. La constance de cette double quête nous a apporté du succès, du moins je le crois.»

Les ingrédients exotiques, norvégiens et scandinaves, il va sans dire, sont aussi pour quelque chose dans le pouvoir attractif de Tord Gustavsen.

«Les racines de ma culture musicale sont aussi importantes dans le phrasé des mélodies et des improvisations, également dans certains rythmes de notre musique. Les influences scandinaves ou norvégiennes viennent en matière d'échelles mélodiques, ainsi que dans certains rythmes qu'on trouve dans les danses traditionnelles.»

Enfin, des éléments de musique sacrée connotent certaines de ses compositions: «La musique religieuse en Norvège, explique-t-il, a eu un impact sur mon imaginaire musical lorsque j'étais enfant. J'ai grandi en jouant ou en chantant de la musique sacrée à l'église. Dans ce même contexte, la musique gospel a aussi forgé mon imaginaire. Cela colore parfois mes compositions, bien que je n'aie pas l'intention de faire directement référence à quelque hymne religieux. On peut certes y voir une forme dérivée de la liturgie, de la dévotion.»

Évolutions

Après s'être fait connaître en trio sous étiquette ECM, Tord Gustavsen a étoffé ses propositions orchestrales. Il résume la trajectoire: «Ce paysage sonore a évolué, particulièrement au cours des derniers enregistrements, qui dépassent largement le cadre du trio, un cadre avec lequel je me suis exprimé pour mes trois premiers albums. Pour les deux plus récents, la façon de converser s'est étendue: variété de duos, trios, quartettes ou même quintettes. Pour The Well, mon plus récent album, cela s'est stabilisé en quartette.»

Ainsi, le premier concert sera celui du quartette. «C'est devenu le véhicule principal de ma musique, un ensemble intégré d'expressions individuelles et collectives, et qui compte mes musiciens préférés de Norvège: le saxophoniste Tore Brunborg, le batteur Jarle Vespetad, le contrebassiste Mats Eilertsen. Nous allons jouer des pièces de mes albums en trio, du dernier album, ainsi que des pièces inédites.»

Le deuxième soir sera le plus expérimental, avec une formation sans contrebasse. «Pour l'occasion, mon invité sera Hakon Kornstad. Il jouera du saxophone et d'autres instruments à vent qu'il juxtaposera à des interventions électroniques. En fait, ce musicien est une des figures marquantes de l'électrojazz norvégien. Pour moi, il s'agira d'une nouvelle expérience que de me retrouver sur scène avec lui et mon batteur.»

Le troisième concert de Tord Gustavsen sera soliloque, «fondé sur des hymnes traditionnels norvégiens» et sur sa «musique originale».

Le quatrième concert sera donné en tandem avec la chanteuse Solveig Slettahjell, que son hôte admire visiblement. «Ses albums sont superbes! Sa voix y émet un son chaud, caressant. Son phrasé est pénétrant, des plus rafraîchissants. Le fait de l'accompagner me mène chaque fois à ralentir le tempo, car son approche est à la fois méditative et sensuelle. Ainsi, ce programme sera constitué d'hymnes, mais aussi de reprises.»

Avant de raccrocher le combiné, Gustavsen juge important de qualifier cette quadruple invitation à Montréal de «véritable bénédiction».

«Ces concerts, résume-t-il, représentent un vaste tableau de mon travail en tant que compositeur ou improvisateur.»

Ne lui reste qu'à exercer de nouveau son ascendant.

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Dans le cadre de la série Invitation, Tord Gustavsen se produit quatre soirs d'affilée, à compter d'aujourd'hui, à 18h, au Gesù.